n.d.l.r. Nous délaissons le domaine de l’éclairage et nous pénétrons dans celui des « ombres », question de parler d’un des risques liés au travail avec l’électricité.
On parle de plus en plus dernièrement de « l’arc-flash » (l’éclair d’arc) mais il semble qu’il y a encore beaucoup de confusion. Comme j’ai la chance de côtoyer pratiquement chaque jour un professionnel qui s’y connait beaucoup dans le domaine, j’ai décidé de le faire partager un peu ses connaissances. Une entrevue avec Yanick Vaillancourt (YV), ingénieur en électricité chez les Consultants DND :
MRP : Commençons par la base : c’est quoi, un éclair d’arc ?
YV : C’est un évènement où un fort courant circule dans l’air sous forme de plasma, un gaz ionisé qui dégage beaucoup d’énergie. Ceci étant dit, avant de parler de l’éclair d’arc lui-même il faut d’abord parler de manière plus générale de la sécurité des travailleurs en électricité. Il y a environ 20 à 30 ans, les chercheurs en santé et sécurité du travail ont réalisé que les blessures subies par des électriciens n’étaient pas majoritairement liées à l’électrocution ou l’électrisation comme on aurait pu imaginer. Ils ont découvert qu’environ les deux tiers des blessures subies par les électriciens étaient des brûlures (pour le Québec, c’était environ 50% des incidents). On s’est rendu compte que ces brulures étaient liées aux arcs électriques. C’est à partir de ce moment qu’on a fait davantage de recherche et que toute cette théorie sur les arcs électriques et l’énergie incidente a été développée. Bref, un éclair d’arc est la conduction d’électricité dans l’air ionisé, dans le plasma qui contient beaucoup, beaucoup d’énergie, ce qui peut causer des blessures sérieuses à une personne qui se trouve à proximité, selon le niveau d’énergie contenu.
MRP : Comment est-il produit ? Est-ce seulement une erreur humaine qui peut le produire ?
YV : Si nous parlons des accidents, à part les actions directes d’un électricien, la source de l’arc peut être réduite pratiquement dans tous les cas à une erreur humaine : des équipements qui manquent d’entretien, ou la présence d’une pièce mal fixée ou qui est sur le point de se détacher dans une sous-station, tous sont dus à des actions (voir inactions) humaines et peuvent créer un court-circuit qui va devenir un arc de grande puissance.
MRP : Quels sont les effets de l’éclair d’arc ? Est-ce que ce sont uniquement les travailleurs qui sont à proximité du défaut qui subissent ces effets ? (On sait très bien que dans plusieurs cas le client veut tout voir, tout surveiller, être au cœur de l’action…)
YV : Un arc émet beaucoup de chaleur. Donc, selon l’énergie dissipée par l’arc et l’emplacement d’une personne par rapport à celui-ci, des blessures différentes peuvent être observées. Premièrement, il y a évidemment les brulures. Un arc dégage généralement beaucoup d’énergie et le seul fait d’être à proximité peut faire subir de sérieuses brulures. D’ailleurs, la plupart des équipements de protection individuelle contre les arcs électriques sont ignifuges. Dans un deuxième temps, lorsque l’ampleur de l’arc devient plus grand et que celui-ci survient entre des conducteurs de cuivre, un deuxième problème se présente ; il s’agit de blessures liées aux explosions. Pour faire une longue histoire courte, un des problèmes que nous avons avec la sécurité en électricité est l’utilisation du cuivre. Le cuivre à une propriété physique particulière : lorsqu’il passe de l’état solide à l’état gazeux, il prend beaucoup d’expansion. Il prend tellement d’expansion qu’on utilise ce métal dans des applications militaires. L’équivalent d’un arc électrique est utilisé pour certaines armes pour percer le blindage de chars d’assaut. Comme j’aime bien dire en formation : imaginez votre visage…
Les blessures liées aux explosions seront notamment des tympans brisés, des côtes, des membres ou d’autres os fracturés. Dans un des cas que nous donnons en exemple, un court-circuit dans une distribution électrique avait causé l’effondrement d’un mur de blocs de béton complet d’une usine. À partir d’un certain niveau d’énergie, aucun équipement ne peut protéger adéquatement les travailleurs.
MRP : Comment peut-on se protéger ?
YV : Pour se protéger, on pense spontanément aux équipements de protection individuelle – qu’on appelle les EPI. Ces équipements sont généralement des vêtements, des visières, des gants et des cagoules à l’épreuve du feu. Cependant, il ne s’agit pas que de ça. En fait, il est du devoir de tous de prévenir les dangers à la source plutôt que de porter des équipements de protection. Cela signifie tout d’abord éviter de travailler sous tension. Il existe bien sûr des cas où il est impératif de travailler sous tension, nous n’entrerons pas ici dans le détail. On doit toutefois se souvenir qu’au-delà de l’équipement de protection, on doit adopter des méthodes de travail sécuritaires, une procédure appropriée, des méthodes de travail reconnues, et, finalement, bien sûr minimiser le temps d’intervention sous tension. En résumé, la meilleure protection contre un arc demeure la prévention. J’ai réalisé au cours de mon activité que finalement le principal problème n’en n’était pas un de protection. Il s’agit d’un problème de prévention, et comme c’est souvent le cas en santé et sécurité du travail, le principal obstacle est le changement de nos attitudes et de nos réflexes par rapport à nos actions.
MRP : Costume arc-flash – quand le porter ? Par exemple sur une armoire de distribution nous avons l’identification de catégorie, disons, 2. Le client veut opérer lui-même un disjoncteur. Doit-il porter son costume arc-flash ou non ?
YV : Pour répondre nous devons parler un peu plus en détail des équipements de protection individuelle (EPI).
Il existe trois façons de déterminer le niveau de danger d’un équipement électrique. Dans un monde idéal, le niveau de danger aura déjà été calculé par un ingénieur et l’appareillage électrique sera muni d’une identification où le niveau de danger est clairement identifié.
Cependant, il arrive souvent que cet exercice n’ait pas été effectué là où on peut avoir des interventions à faire. Dans ce cas, il existe deux autres méthodes pour déterminer le niveau de dangerosité de l’intervention qu’on s’apprête à faire, et donc du niveau de protection des équipements requis.
Lorsqu’on commence à implanter des procédures de travail sécuritaires, on peut le faire par la méthode simplifiée – plus facile pour tout le monde. Cette méthode, prévoit deux niveaux de protection. La plupart des travaux sont effectués avec des équipements de catégories 2 et certains travaux, bien définis, demandent l’utilisation d’équipements de protection de catégorie 4. La méthode simplifiée est décrite dans l’annexe H de chacune des deux normes.
Lorsque tous sont familiers avec la méthode simplifiée, on peut aussi utiliser la méthode des tableaux ; dans le cas de la norme canadienne, on parle des tableaux 4A et 4B. Ces tableaux comportent une liste de pratiquement toutes les tâches qu’un électricien peut effectuer. Pour chacune des tâches, on trouve un niveau de protection requis pour effectuer cette tâche sous tension de manière sécuritaire. Une autre colonne précise le besoin ou non de porter des gants isolants et une dernière colonne précise le besoin ou non d’utiliser des outils isolés. Cette méthode est très populaire, mais attention, dans les notes des tableaux, on retrouve des conditions maximales de capacité de court-circuit pour lesquelles ces valeurs sont applicables.
MRP : Vous avez commencée à en parler déjà… parlez-nous davantage des normes applicables. Qui doit les appliquer ?
YV : La norme canadienne applicable est la CSA Z462 – Sécurité en matière d’électricité au travail. Cette norme elle-même est la descendante et la cousine de normes similaires qu’on retrouve ailleurs dans le monde, notamment la NFPA 70E aux États-Unis. Ces normes, similaires dans tous les pays, proviennent toutes d’un document de l’IEEE, le livre jaune de la série des « colored books » qui traitent de l’électricité.
Sinon, ce sont les lois sur la santé et sécurité au travail qui s’appliquent. Au Québec, il s’agit de la loi sur la santé et sécurité au travail du Québec et le règlement sur la santé et sécurité au travail du Québec. Cette loi et le règlement qui y est associé contiennent des principes mais aussi prescrivent des obligations aux employeurs autant qu’aux travailleurs afin d’assurer la sécurité des travailleurs.
MRP : Quels sont les recours de l’électricien ?
YV : Le recours ultime de travailleurs à qui l’employeur veut faire effectuer une tâche jugée trop dangereuse est le droit de refus. Un travailleur a, selon la loi, le droit de refuser d’effectuer une telle tâche. L’exercice de ce droit est bien encadré par la loi.
Cependant, mon expérience m’indique qu’il est assez rare qu’un électricien doive exercer son droit de refus.
MRP : Autre chose que vous voulez ajouter ?
YV : Oui. Il faut souligner que tous les intervenants ont besoin de sensibilisation aux dangers de l’électricité. Les électriciens eux-mêmes ont leurs habitudes de travail, et nous savons tous qu’un certain nombre de ces habitudes ne sont pas sécuritaires. Par exemple, on voit encore fréquemment des électriciens effectuer des travaux alors qu’on retrouve une tension 120 V dans une boite. Il s’agit du fameux mythe voulant que le 120 V ne soit pas dangereux – (n.d.l.r.Rappelons que le jeune Frédéric Castilloux est décédé des conséquences d’une chute en aout dernier, suite à un choc à 120 V subi alors qu’il travaillait sur de l’éclairage (voir l’article).
Ainsi, l’électricien doit tout d’abord suivre les procédures de travail sécuritaires, participer à leur élaboration, utiliser des techniques de travail sécuritaires et porter les équipements de protection individuelle lorsqu’ils sont requis.
Rappelons aussi que le travail hors tension est maintenant la norme plutôt que l’exception. La meilleure façon d’éviter les risques de blessures liées aux arcs, et même aux chocs, est de TRAVAILLER HORS TENSION. Très peu de situations justifient de travailler sous tension. Le dépannage en est une.
Si un électricien omet de mettre un circuit hors tension avant d’y effectuer des travaux de nature électrique, posons-nous la question : pourquoi a-t-il agi ainsi ? La réponse est généralement qu’il a l’habitude de travailler ainsi, qu’il ne veut pas nécessairement mettre en branle toute la procédure de cadenassage pour « une tâche simple qui prendra si peu de temps. »
L’électricien peut et doit demander à son employeur des méthodes de travail sécuritaires, des procédures de cadenassage, une procédure pour émettre des permis de travail hors tension et, de manière plus large, un programme de sécurité électrique, qui inclut de la documentation à jour. Cependant, l’amélioration des conditions de travail sécuritaires des électriciens passe d’abord et avant tout par un changement des mentalités, incluant la nôtre.
Merci beaucoup, Yanick Vaillancourt !
Peut-être vous l’avez déjà compris, mais en guise de conclusion soulignons encore une fois le besoin de sensibilisation à tous les niveaux. Plusieurs formations de diverses durées et niveaux d’expression sont disponibles sur le marché (dont une très complète par L’Institut Électricité Plus – cliquez ici pour la prochaine session). Encouragez autant l’électricien (de chantier ou d’entretien) que les clients, les personnes qui travaillent dans l’ingénierie électrique ou l’électromécanique, d’autres travailleurs qui entrent en contact avec l’électricité sans que celle-ci soit leur métier direct (par exemple des travailleurs en mécanique de bâtiment qui doivent intervenir sur des équipements alimentés électriquement), encouragez-les à s’informer, à suivre une de ces formations et soyez sûrs que simplement en en parlant vous avez peut-être sauvé une vie…
ndlr : 1) Les informations, idées et opinions présentées dans cette chronique sont de la seule responsabilité de son auteur, M. Mihai R. Pecingina.
2) Mihai R. Pecingina, ing., est membre de l’équipe de Consultants DND, tout comme Yanick Vaillancourt. Il est aussi président d’IDA Québec et membre du CA d’IES Montréal. On peut joindre M. Pecingina à mpecingina@dndinc.ca , tél. : 514-795-0363.
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