
Quelque 150 congressistes ont pris part au 5e Congrès annuel de la maintenance industrielle, du 6 au 8 septembre à Montréal – personnel de maintenance et professionnels de l’ingénierie, mais également responsables de la production. Le secteur manufacturier vivant des bouleversements majeurs avec le virage vers l’industrie 4.0, il demeure impératif pour les industriels d’améliorer leur productivité et d’optimiser leurs efforts de maintenance avec les outils technologiques au bout de leurs doigts.
Au cours de la première journée du congrès, huit conférenciers ont partagé leur expérience et exploré les stratégies pour inspirer les employés en maintenance dans la poursuite de leur travail. Le magazine Électricité Plus, qui a assisté à l’évènement, brosse un tour d’horizon des questions explorées pour mieux optimiser la planification de la maintenance et enfin émerger du mode « Pompier », qui consiste à réagir en cas d’urgence, de défaillance d’un équipement. Aperçu.
Les concepts LEAN : implanter le changement de culture
Fort de ses 37 ans dans le domaine de la maintenance, dont 34 ans dans les usines de Rio Tinto Alcan, Jean-Robert Claveau, conseiller stratégique pour STI Maintenance, a partagé son expérience sur le terrain quant à l’implantation en usine de concepts LEAN.
Appliqué au département de la maintenance, le « LEAN » vise à éliminer le gaspillage, soit à atteindre le « zéro perte », « zéro erreur », « zéro contamination ». Premier constat : le changement passe inévitablement par l’évolution de la culture au sein de l’entreprise. « Trop d’entreprises veulent aller trop vite, trop loin », a martelé celui qui ne se considère pas un expert en LEAN, mais qu’il l’a vécu à maintes reprises.
Pour lui, le changement de culture doit irrémédiablement passer par les employés, qui doivent se sentir impliqués. « Pour que le changement opère, il faut qu’il fasse du sens pour les employés, qu’ils vivent une évolution », a-t-il soulevé.
- Claveau a recommandé entre autres de miser sur le fond plutôt que sur la forme du changement ainsi que de déployer des efforts de management pour économiser sur les couts d’entretien des équipements et faire des gains de production. Enfin, il a suggéré d’impliquer dans le processus les leaders naturels dans l’équipe, mais surtout de leur offrir le support nécessaire sur le terrain.
Contrôler le « déficit de maintien » des actifs, le cas Montbéliard
L’entreprise tbmaestro a mis en lumière la stratégie derrière un plan de maintien d’actifs, par un audit technique, occupationnel et fonctionnel, exercice effectué dans le cas de la ville de France, Montbéliard, l’équivalent en population de la ville de Sorel-Tracy.
« Le but est d’analyser les ressources disponibles et d’inspecter l’état de vétusté pour prendre la décision d’effectuer des travaux ou de reconstruire à neuf, à l’aide d’une jauge de risque », a expliqué la conférencière Nina Bouaziz, directrice de projets. Elle a présenté un outil d’aide à la décision d’optimiser ou de rationaliser la gestion des actifs.
« On veut évaluer le risque de ne pas faire cette intervention et analyser le risque sur l’équipement en établissant le profil des décideurs », a exposé son collègue Cyril Château, directeur des opérations. Les facteurs de temporalité et de complexité des projets, tout comme l’évaluation du budget, font partie du plan de mise en œuvre du « maintien d’actifs ».
Remplacement de pièces critiques : vers la maintenance 4.0
Les conseillers en gestion d’actifs de Systemex Industries-Conseils, Pierre-Marc Soucy et Maxime Chabot, ont dévoilé les secrets de l’inspection de pièces critiques afin d’optimiser la durée de vie des actifs.
Leur conférence « Comment déterminer s’il faut inspecter, reconditionner ou remplacer vos pièces de recharge? » s’adressait à tout secteur d’activité dont la valeur est déterminée par l’équipement et le processus, soit l’industrie du transport, du manufacturier et des ressources naturelles. Ils ont démontré qu’un programme d’inspection optimisé permettait de réduire les temps d’arrêt et les couts de maintenance, tout en améliorant la durée de vie des actifs et l’optimisation des pièces de recharge.
Présentant la progression de l’ère de la maintenance 4.0, les conférenciers ont prouvé qu’il était possible de prédire les défaillances dites « imprédictibles », avec l’industrie 4.0 et les outils technologiques disponibles. L’impact mesuré sur les pièces de rechange permettait de voir une augmentation de la disponibilité des équipements ainsi que de la nécessité d’avoir accès aux bonnes pièces au bon moment.
Améliorer la productivité avec l’Internet industrielle des objets (IIoT – IIdO en français) et l’industrie 4.0
Mattieu Berlinguette, directeur du développement des affaires – Fiabilité de Contrôles Laurentide, a abordé le sujet de l’heure qu’est l’industrie 4.0, et la façon de l’utiliser comme levier vers une meilleure productivité en usine.
Dans sa présentation, il a insisté sur l’importance de l’automatisation et de l’Internet industrielle des objets (IIdO) dans l’amélioration des technologies de détection, dans la connectivité rentable et dans les méthodes avancées de calcul et d’analyse. Les opportunités d’amélioration sont significatives pour les entreprises, au chapitre de la fiabilité, soit d’augmenter de 4 % la disponibilité des équipements avec la moitié moins de couts de maintenance; et au chapitre de de la production, de réduire de 20 % les couts d’opération.
L’IIdO propose entre autres l’avantage de visualiser en temps réel la performance opérationnelle, d’obtenir une expertise intégrée dans les applications et les processus de travail ainsi que d’utiliser l’information à tout moment, peu importe où l’on se trouve.
Hydro-Québec : une stratégie de maintenance évolutive
La division TransÉnergie d’Hydro-Québec était représentée par Louis Veci, directeur principal, et Ghislain Tessier, directeur, qui ont présenté l’évolution et la mise en place de la planification de la maintenance instaurée du côté de la société d’État. Notons par ailleurs que plusieurs représentants d’Hydro-Québec étaient dans l’assistance.
Le tandem a d’abord exposé comment TransÉnergie Hydro-Québec a travaillé, en cinq axes, à la planification opérationnelle. Premièrement, elle a troqué sa vision régionale pour une vision corporative en centralisant son organisation; deuxièmement, elle a optimisé ses systèmes de maintenance dans un plan opérationnel consolidé (POC); troisièmement, elle a déployé le changement après une mise à jour des processus, des rôles et des responsabilités; quatrièmement, en 2016-2017, un grand effort a été mis pour arrimer la communication à tous les niveaux de l’organisation; et cinquièmement, des suivis quotidiens, hebdomadaires et mensuels ont offert un aperçu de l’état d’avancement des travaux et permis de mener une analyse anticipée de la charge de travail, des ressources et des travaux préparatoires.
À titre d’exemple, Hydro-Québec a présenté les résultats du remplacement des disjoncteurs PK, en termes de cout moyen de remplacement et de délai moyen de réalisation, tant en 2015 qu’en 2017.
« Nous avons réalisé des gains notables, dont le fait de travailler sur l’humain, pour que les gens y croient, au changement », a conclu Ghislain Tessier.
Implantation d’une GMAO, le bilan de Chevron Oronite
Le fabricant d’additifs pour lubrifiants, carburants et autres spécialités chimiques, Chevron Oronite a délégué François Caillot, ingénieur maintenance et fiabilité, et Serge Rivoallan, président du Groupe Conseil Rivoallan, pour partager leur expérience quant à la mise en place d’une solution de gestion de la maintenance assistée par ordinateur (GMAO).
Bilan fait : l’outil reste un moyen d’intégrer les bonnes pratiques, oblige les entreprises à remettre en question leurs processus et leurs pratiques tout en favorisant la mise en place d’un échange entre les sites dans le cas d’Oronite. « Le projet a été un succès du côté des technologies de l’information, mais pas nécessairement du côté des affaires », a conclu M. Caillot.
Requérant une forte rigueur opérationnelle pour bien fonctionner, il faut en premier lieu instaurer une culture de maintenance proactive afin que toutes les équipes puissent suivre le processus, ce qui n’a pas été le cas pour Oronite. L’entreprise a ainsi tiré la leçon que « l’outil doit supporter les processus, et non l’inverse ».
Un rendement maximal jusqu’à défaillance
Spécialiste de la fiabilité des actifs, Henri-Jules Bujold de la firme CiM, a présenté une expérience vécue en matière d’implantation d’un logiciel GMAO.
Renforçant les propos du conférencier précédent, M. Bujold a soulevé que l’outil doit effectivement servir à supporter les processus pour offrir aux équipements un rendement maximal jusqu’à leur défaillance. Selon son expérience, il faut d’abord bien définir les rôles de chacun dans l’entreprise, car le système de gestion de la maintenance assistée par ordinateur « arrache » souvent de l’importance au contremaitre, a-t-il illustré. Ensuite, il a affirmé préconiser la maitrise des opérations courantes, puis l’engagement dans un processus d’amélioration continue. Enfin, il demeure important arrimer la stratégie de maintenance à la mission de l’entreprise.
Bref, la maintenance ne doit pas être considérée comme une dépense, mais comme un investissement, a résumé le conférencier, ce qui doit s’inscrire dans la culture de l’entreprise. Une bonne planification permettrait ainsi de doubler le « wrench time » de l’équipe, soit son niveau de productivité d’au minimum 30 % à 50 %.
Question de culture, de changement de mentalité
La dernière conférence de la journée, « Changez les mentalités! Comment implanter une culture de gestion axée sur le partenariat avec le service de production afin de valoriser votre service de maintenance », animée par Richard Marois, directeur Entretien chez Papiers White Birch, a bouclé la boucle en faisant le lien avec la toute première conférence de la matinée avec M. Claveau.
Les joueurs-clés du changement doivent tous être impliqués, a rappelé M. Marois, et tous doivent ramer dans la même direction. L’implication des gens de la production dans les décisions de maintenance ainsi que l’inverse reste une priorité. « Nous sommes tous responsables de nos équipements, a cité le conférencier en référence à l’attitude TPM (totale productive maintenance). La maintenance, c’est l’affaire de la production aussi! »
En résumé, chacun doit connaître son rôle et s’impliquer. La direction d’usine doit croire et supporter le processus tout en maintenant ses priorités. « Chaque dollar investi dans la planification rapporte 5 $ à la réalisation, a soulevé Richard Marois, citant l’ouvrage Maintenance excellence des auteurs John D. Campbell et Andrew K.S. Jardine. Le travail planifié requiert la moitié du temps à la réalisation. »
Bilan
La formule habituelle du Congrès de la maintenance industrielle s’est poursuivie pour une cinquième année d’affilée, bien que quelques nouveautés se soient glissées dans la programmation. Parmi celles-ci, Jordan Cohen, directeur des communications, cite les deux conférenciers de France qui ont présenté l’étude de cas de la Ville de Montbéliard, proposant ainsi une perspective différente du maintien des actifs en opération par rapport aux pratiques québécoises. Un autre sujet, jamais abordé auparavant, a été celui des pièces de rechange, conférence animée par des représentants de Systemex Industries-Conseil.
Quant au principal enjeu dans l’univers de la maintenance industrielle, M. Cohen croit qu’il s’agit d’une plus grande implication de la part du personnel de la production, qui voit habituellement la maintenance comme une dépense inutile et couteuse. « La production doit collaborer avec la maintenance », croit-il. De son côté, Roger Coulombe, qui a animé la séance de « Benchmarking » en formule réseautage en début de journée, a répété que le nerf de la guerre se situe dans le changement de culture de la part de l’entreprise. « Cela fait dix ans qu’on le martèle, mais depuis seulement deux-trois ans qu’on s’implique réellement à le faire », a-t-il conclu.
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