Profondément passionné par la question de la vie sur Terre, le professeur et chercheur aujourd’hui retraité Jean-Pol Dodelet a consacré ses vingt dernières années de carrière aux catalyseurs moléculaires à base de fer pour remplacer le platine, un matériau noble et donc couteux, dans la fabrication de piles à combustible. Exit la voiture à essence, la pile à combustible alimente le véhicule à l’hydrogène pour rouler vert dans le futur.
Docteur en chimie-physique de l’Université catholique de Louvain, Dr Jean-Pol Dodelet est considéré comme un expert mondial dans le domaine des piles à combustible ayant mis au point, avec son équipe du Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), une nouvelle génération de catalyseurs moléculaires pour piles à combustible. De 2004 à 2009, il a été titulaire de la Chaire de recherche industrielle CRNSNG-General Motors Canada en électro-catalyse appliquée aux piles à combustible.
Dans ses recherches, le scientifique a tôt fait de s’intéresser aux piles à combustible à membrane d’échange de protons (PEM), aussi appelées à membrane électrolyte polymère. Ces piles PEM fonctionnent à basse température – en général à 80°C – et ont des applications notamment en transport – voitures électriques, bus et même aéronefs. Elles peuvent aussi être utilisées en applications stationnaires en générant la puissance électrique nécessaire dans les habitations.
« Une pile PEM fonctionne en oxydant de l’hydrogène, un combustible, à une électrode et en réduisant l’oxygène de l’air à l’autre électrode. Le seul produit de cette réaction électrochimique est de l’eau. Pour qu’une pile puisse fournir une puissance électrique suffisante, elle a besoin d’un catalyseur à ses deux électrodes. Dans les prototypes actuels, ce catalyseur est le platine, un métal noble, rare et très couteux, qui sert – dans une réaction lente – à la réduction de l’oxygène », explique Dr Dodelet.
Le chercheur et ses collaborateurs ont ainsi entrepris de remplacer le platine par une nouvelle génération de catalyseurs moléculaires à base d’un métal commun, le fer, capable d’effectuer efficacement la réduction de l’oxygène nécessaire au fonctionnement de la pile. Comment? En s’inspirant de la nature, soit par la façon avec laquelle les humains produisent leur énergie, en oxydant leur nourriture par l’oxygène de l’air. « D’où mon intérêt, soulève Jean-Pol Dodelet, de savoir comment la vie est venue sur Terre et qu’est-ce qui a changé lorsque l’oxygène a fait son apparition dans l’atmosphère il y a plus de 2,5 milliards d’années. »
Dr Régis Chenitz, qui a été un étudiant du Dr Dodelet et collaborateur aux recherches sur les piles à combustible, dit de ce dernier que ses travaux s’inspirant de la nature ont permis d’explorer des pistes de recherche atypiques et de sortir des sentiers battus. « C’était séduisant intellectuellement et stimulant de pouvoir travailler avec Jean-Pol Dodelet, qui est quelqu’un d’excessivement curieux, dédié et tenace, avec qui nous avons effectué des avancées scientifiques en conséquence », confie-t-il au bout du fil. Il ajoute que M. Dodelet a su assurer avec brio une relève scientifique dans le domaine des piles à combustible.
L’hydrogène dans la mire des constructeurs
Le Dr Dodelet rappelle que tous les grands fabricants automobiles travaillent sur un modèle à l’hydrogène, soit Toyota, Hyundai, General Motors, Peugeot, Renault, Mercedes-Benz et ainsi de suite. Dans le débat sur les véhicules « propres », entre le véhicule à l’hydrogène et le véhicule électrique fonctionnant uniquement avec des batteries, Jean-Pol Dodelet défend le véhicule hybride électrique-électrique, soit un véhicule ayant une pile à combustible (électrique) et une batterie (électrique).
« La Mirai de Toyota a été la première hybride à l’hydrogène à avoir été commercialisée. Son moteur est électrique et une pile à combustible peut l’alimenter et recharger sa batterie », explique-t-il. Pour que le véhicule soit propre, il faut nécessairement que l’hydrogène soit produit proprement, par l’électrolyse de l’eau, cite-il en exemple. « Cette réaction est la réaction inverse de celle qui se produit en pile PEM puisque l’électrolyse de l’eau fournit de l’hydrogène et de l’oxygène, résume le professeur honoraire à l’INRS. Il faut aussi que l’électricité qui sert à faire l’électrolyse de l’eau soit propre, comme l’hydroélectricité. »
Pour sa part, le Dr Chenitz estime que le véhicule à hydrogène et le véhicule 100 % batterie ne doivent pas se concurrencer, mais que la technologie des piles à combustible peut apporter des solutions aux problèmes de la voiture 100 % batterie, entre autres au chapitre de l’autonomie et du temps de recharge. « Une voiture avec une pile à combustible va devenir l’équivalent du véhicule hybride actuel, croit-il. La pile pouvant produire de l’électricité avec de l’hydrogène va remplacer le système à combustion interne et forcément travailler avec une batterie. »
La voiture à pile à combustible vise les automobilistes qui auront besoin d’une grande autonomie de conduite. « Ce n’est pas avec une seule technologie qu’on va arriver à dépendre des énergies vertes. On est limités par la physique, qui fait en sorte que pour l’instant seul le véhicule à moteur thermique peut contenir suffisamment d’énergie pour donner la meilleure autonomie. Il faut continuer à œuvrer pour que les véhicules électriques à pile à combustible soient plus efficaces et contiennent plus d’hydrogène », mentionne M. Chenitz. Pour y parvenir, les défis à relever sont ceux des couts élevés des matériaux et l’enjeu sécurité.
Le frein au développement de la voiture à l’hydrogène : le manque de stations de ravitaillement en hydrogène. D’autre part, selon Jean-Pol Dodelet, l’ombre de la catastrophe du dirigeable alimenté à l’hydrogène, le Hindenburg, qui a pris feu en plein vol en 1937, plane encore dans l’esprit des gens. « Ils sont effrayés par l’hydrogène, glisse-t-il, mais pas par l’essence, également hautement combustible, qu’ils mettent dans leur voiture. »
Contribution scientifique exceptionnelle
L’an dernier, Jean-Pol Dodelet a été reconnu par la colonie scientifique qui l’a élevé au rang de Fellow de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) en raison de sa contribution exceptionnelle au développement de catalyseurs moléculaires à base de fer. « Souvent, les gens qui reçoivent des prix incitent des collègues à proposer leur candidature, Pour ma part, quelqu’un que je ne connaissais pas a proposé mon nom, je ne sais pas comment cela s’est fait, mais j’en suis honoré », souffle-t-il avec modestie.
À ses dires, ce n’est pas ce titre qui lui a apporté de la notoriété, mais ses publications dans les prestigieuses revues scientifiques Science, lorsqu’il a déposé son premier brevet concernant ces catalyseurs en 2009, et Nature Communications, lors du dépôt de son second brevet en 2011. Ces brevets étant la propriété de l’INRS, une licence a été récemment émise à la compagnie Pajarito Powder spécialisée dans le développement de catalyseurs non nobles pour piles à combustible.
Dans ses travaux de recherche, le Dr Jean-Pol Dodelet devait d’abord trouver une façon d’augmenter le nombre de « sites catalytiques » – que l’on peut représenter par des ions de fer retenus sur le carbone par de l’azote – pour obtenir un catalyseur actif. Puis, il fallait travailler sur la performance du catalyseur, explique le Dr Dodelet. La performance visée : un watt par centimètre carré sous oxygène pur. Enfin, la stabilité du catalyseur devrait se mesurer à celle du platine; l’étape reste à franchir.
Récemment, la compagnie Ballard Power System a annoncé sa collaboration avec Nisshinbo Holdings, un conglomérat japonais, pour commercialiser une pile à combustible PEM avec un catalyseur à base d’un métal non précieux, inspiré des travaux du professeur Dodelet.
Un Fellow à la retraite
Maintenant à la retraite, le chercheur se réjouit de ne plus être contraint de trouver des subventions et de suivre des étudiants dans leur parcours académique. Il peut se concentrer uniquement sur son intérêt pour son champ d’expertise, les piles à combustible, et comprendre pourquoi les catalyseurs à base de fer manquent de stabilité. « On sait maintenant pourquoi ce n’est pas stable, mais on ne sait pas comment guérir le problème – et trouver un moyen de passer par-dessus cela. »
À l’évidence, sa flamme pour l’hydrogène brûle encore puisqu’il s’implique notamment sur le comité technique consultatif de la compagnie Pajarito Powder, qui détient une licence sur ses brevets.
« Je continue à contribuer au domaine, mais plus lentement, résume-t-il. Je continue mes recherches et mes lectures, mais je lis aussi sur d’autres sujets, comme sur les origines de la vie, et je m’adonne un peu à la sculpture. » Il recommande à quiconque s’intéresse à la pile à combustible et à la réduction de l’oxygène son livre fétiche L’Oxygène : la molécule qui a créé le monde de Nick Lane. « C’est formidable qu’à partir d’éléments inorganiques, quelque chose se soit organisé; et transformé pour produire suffisamment d’énergie pour animer la vie sur terre. »
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