
Éric Martel, président-directeur général (PDG) d’Hydro-Québec, a évoqué en début d’année la « spirale de la mort » (spiral of death) sur le point d’être générée par la vague d’autoproducteurs d’énergie solaire qui risque d’engouffrer Hydro-Québec et d’entraîner une hausse exponentielle des tarifs d’électricité et la fin des grands barrages hydroélectriques, dans une entrevue au Journal de Québec.
Face à ce constat, Patrick Goulet, président d’Énergie solaire Québec, estime qu’il est bien temps que la société d’État redéfinisse son mandat et son modèle économique. Même son de cloche de la part de Michel Gagné, entrepreneur-électricien de Bordeaux Électrique, qui se spécialise dans l’installation de panneaux solaires. « Ça fait longtemps qu’Hydro-Québec aurait dû s’impliquer dans l’énergie solaire, et le dernier barrage de La Romaine n’aurait pas été nécessaire. »
Quand M. Martel parle de la « spirale de la mort », il explique que si la croissance des autoproducteurs de solaire se poursuit, les propriétaires diminueront leur consommation – puisqu’ils pourraient produire jusqu’à 15 % de leur consommation énergétique. De plus, il faudra investir autant que maintenant dans le réseau pour maintenir les infrastructures à niveau, ce qui forcerait Hydro-Québec à augmenter ses tarifs d’électricité, et aurait pour conséquence de rendre encore plus rentable la production d’énergie solaire.
Le spectre de la « spirale de la mort », où Hydro-Québec sera obligée d’augmenter ses tarifs, est bien réel, estime M. Gagné. Selon lui, Hydro-Québec pourrait assumer le rôle de subventionner l’installation résidentielle de panneaux solaires et « travailler conjointement avec nous ». « Nous pourrions travailler en partenariat, en retournant nos surplus d’énergie solaire dans le réseau, que la société d’État pourrait ensuite revendre aux États-Unis et on Ontario – pour diminuer le recours aux énergies fossiles », propose-t-il.
Rentabilité de la maison intelligente
Hydro-Québec affirme détenir une étude qui prouve que la maison intelligente autoproductrice d’énergie serait rentable dès 2025 – prévision qui lui ouvre la porte pour courtiser des usines et entreprises très grandes consommatrices d’énergie afin d’attirer les investissements. Déjà, elle se tourne vers les centres de données et minières de cryptomonnaies. D’autant plus qu’avec la technologie des hydroliennes, elle pourrait accroitre sa production d’électricité à partir de très peu d’investissements.
« Je suis d’accord avec le principe d’étudier la maison intelligente, commente Patrick Goulet, mais pour moi, la technologie la plus simple est la plus intelligente. L’idée, c’est d’avoir toutes les technologies ensemble. De se tourner vers les centres de données et les entreprises en cryptomonnaies, c’est parfait, c’est la plus belle initiative d’Hydro-Québec en ce moment. Ce n’est pas générateur d’emplois, mais l’argent généré par celles-ci est réinvesti dans la province, reste à savoir dans quoi, et ce que l’on compte faire avec. »
Le président d’Énergie solaire Québec milite pour une plus grande transparence d’Hydro-Québec, ce qui a été amorcé, selon lui, depuis qu’Éric Martel occupe le siège de PDG. « Reste à voir si les bottines suivent les babines, glisse-t-il. La spirale de la mort pourrait créer un effet d’entrainement rapide, un peu comme pour la montée du cellulaire, il y a quelques années. L’énergie solaire est un peu comme l’iPhone de l’énergie, on peut y accéder pour de moins en moins cher. »
(Pour consulter l’article du Journal de Québec, cliquer ici)
Aux dires de Pierre-Olivier Pineau, de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie d’HEC Montréal, dans une lettre d’opinion publiée dans La Presse, les entreprises en électricité d’Australie et de Californie ont déjà écopé de la croissance de l’autoproduction d’énergie solaire. Selon l’expert, la solution serait de « mettre fin au déséquilibre cout fixe-revenus variables » et de faire payer au consommateur un tarif fixé en fonction de la puissance requise.
(Pour lire l’opinion de M. Pineau publiée dans La Presse, cliquer ici)
Économies d’énergie
De son côté, Patrick Goulet est un partisan de l’économie d’énergie, de l’efficacité énergétique. « Il faut miser plus sur le passif, et moins sur les panneaux solaires », croit-il. En ce sens, M. Goulet cite une étude technico-économique d’Écohabitation sur le potentiel des économies d’énergie. Selon le premier constat de celle-ci, si tous les propriétaires amélioraient la performance énergétique de leur domicile, dans l’optique de rentabiliser l’investissement en cinq ans, le Québec économiserait l’équivalent de la consommation énergétique annuelle de tout le Grand Montréal.
(Pour lire le texte à ce propos, cliquer ici)
« Nous devons arrêter de penser béton, barrages, et profiter de la diversité de l’énergie, poursuit M. Goulet. La puissance installée des barrages permet d’augmenter en quelques minutes la puissance de l’électricité, ce que le solaire ne peut faire, même s’il peut stocker de l’énergie dans des batteries, il peut le faire quelques heures seulement. La réalité c’est qu’en hiver, le chauffage requiert une grande puissance. »
S’il ne croit pas nécessairement en la fin de l’ère des barrages hydroélectriques, M. Goulet estime qu’Éric Martel fait bien de regarder à moyen-long terme, au lieu de laisser passer la parade sans se poser de questions.
« Ce n’est pas évident pour une grosse société de repenser son modèle d’affaires, ajoute-t-il. Je ne crois pas qu’il faut fermer la porte aux barrages, mais je doute qu’il faille en construire d’autres maintenant. Nous devons penser autrement. » En entrevue avec Le Journal de Québec, le PDG d’Hydro-Québec l’a bien mentionné : « on pourrait doubler notre production hydroélectrique, mais aujourd’hui, je ne peux pas justifier la construction d’un nouveau barrage […] Si on construit des centrales et qu’on ouvre les vannes pour vider l’eau, on ne gagnera rien ».
Efficacité des panneaux
Patrick Goulet rappelle que les panneaux solaires ont présentement une efficacité de 18 à 20 %. « Lorsqu’ils atteindront plus de 25 % ou leur plein potentiel, ce sera fini pour Hydro-Québec », martèle-t-il. À son avis, des projets immobiliers intégrant la production solaire, comme celui qui se dessine à Candiac, représentent la voie de l’avenir. (Pour revoir le reportage d’Électricité Plus sur ce développement immobilier, cliquer ici : https://electricite-plus.com/2018/01/11/74-maisons-de-ville-produiront-148-000-kwh-delectricite-a-candiac/)
« Le succès de ce projet, parce que ce sera un succès, vient de changer le paradigme. Le cout de l’électricité, avec une batterie [Powerwall] de Tesla branchée sur le réseau, pourrait être modulé en fonction des périodes de pointe et hors pointe. L’électricité pourrait être utilisée en période hors pointe, pour uniformiser la consommation et ne pas surcharger le réseau », illustre-t-il.
En attendant, M. Goulet dénonce l’indécence de la taxe de 30 % imposée par Washington sur les panneaux solaires importés de Chine. « Ceci ramène la valeur des panneaux solaires achetés au prix de 2015. C’est totalement moron. Le gouvernement ne fait que ralentir l’inévitable bulldozer du solaire », argue-t-il. De son côté, Michel Gagné se dit en accord avec cette politique, pour favoriser les producteurs de panneaux solaires locaux, tant que ces derniers vendent à prix égal.
Si, en 2025, les panneaux solaires arrivent à parité avec l’hydroélectricité, Patrick Goulet rappelle qu’il faudra toujours investir pour l’installation, et amortir sur plusieurs années son investissement. « Le recours au solaire reste un choix. Pour ma part, j’habite un duplex coincé entre deux autres. Je fais du solaire passif, je diminue ma consommation et j’ai installé des lumières aux DEL. Faire le choix du solaire, c’est comme choisir entre un gros VUS et une automobile électrique. »
Bonjour,
Article très intéressant, merci pour toutes ces informations et bravo pour votre site !