
Employé dans le secteur militaire, Pierre Blanchet a manœuvré un virage à 180 degrés quand il a décidé de retourner aux études dans le domaine de l’énergie, guidé par son intérêt envers l’enjeu des changements climatiques. Diplômé au baccalauréat en génie électrique à l’École de technologie supérieure (ÉTS) et ayant complété une maîtrise dans les énergies renouvelables, Pierre s’est associé à deux autres étudiants pour fonder en 2011 Idénergie. L’entreprise a alors deux inventions à son actif: l’hydrolienne de rivière et l’onduleur intelligent.
L’histoire d’Idénergie est celle de Pierre Blanchet, mais également celle de Denis Bastien, son vieil ami du secondaire, et de Gilles Trottier, qui a fait un retour aux études tardif à l’âge de 55 ans pour devenir ingénieur mécanique, avec qui il s’est associé après avoir jasé autour d’une bière. Idéalistes, ils voulaient tous trois sauver la planète.
« Nous voulions contribuer à l’environnement avec le génie électrique, explique Pierre Blanchet. Avec toutes les rivières que nous avons au Québec, nous avons pensé à une innovation made in Québec, l’hydrolienne de rivière, avec laquelle nous avons roulé notre bosse durant cinq ans. »
Ayant remporté le premier prix des Bourses Pierre-Péladeau en 2011, Idénergie a obtenu son ticket à 50 000 $ pour mettre en marché son hydrolienne de rivière. Dès le début malheureusement, l’innovation s’est butée à des restrictions du côté des ministères de l’Environnement et des Ressources naturelles. « Dès que l’on souhaite mettre quelque chose dans une rivière, ça touche une corde sensible, exprime Pierre Blanchet. Nous voulions en vendre, mais il était impossible d’aller plus loin que le projet de démonstration, qui souvent se terminait en fin de saison avant d’avoir reçu les permis nécessaires. »
Le dispositif a été testé dans des rivières de Parcs Canada, où l’éloignement des sites et l’accumulation de galets rocheux a parfois nui au bon fonctionnement de l’hydrolienne. Un autre projet de démonstration a eu plus de succès au Chili. Le gouvernement du pays a accepté d’installer six hydroliennes d’Idénergie dans des canaux d’irrigation en région rurale où l’électricité est difficile d’accès. « L’eau coule des montagnes, ce qui en fait une belle source d’énergie. Le ministère de l’Énergie là-bas nous a accueillis en véritables héros », lance M. Blanchet, qui illustre bien l’adage qui dit que nul n’est prophète en son pays.
Virage vers les convertisseurs solaires
Confronté à l’absence de financement et d’engouement envers l’énergie cinétique au Québec, Idénergie a été forcée de faire un virage en 2016. « Nous nous sommes posé la question : Quelle est notre force? Nous avons conçu six prototypes de génératrices électriques. Notre génératrice électrique d’hydrolienne de rivière d’une efficacité énergétique de 80 % détient un brevet « sous-marin » que nous pourrions peut-être ressortir un jour, mais ce n’est pas au Québec que ça va se financer ».
Idénergie s’est finalement tourné vers l’électronique de puissance et les convertisseurs solaires, avec leur collaborateur et ami de longue date, Handy Fortin Blanchette, professeur à l’ÉTS expert dans les convertisseurs de puissance à haute densité. Pierre Blanchet et son équipe avaient la vision de concevoir un onduleur orienté vers les réseaux intelligents (smart grid). Après une analyse en profondeur de marché, Idénergie a ainsi voulu fournir une solution aux problèmes des compagnies d’électricité qui composent avec une hausse de l’adoption massive des ressources d’énergie distribuées résidentielles (branchement massif de véhicules électriques et autoproduction d’énergie solaire).
Au départ des lignes de distribution, particulièrement à basse tension, ces compagnies aimeraient tenir le voltage bas chez les clients afin de faire des économies d’énergie sur les charges résistives (ex. : chauffe-eau) en écrêtant la pointe. Malheureusement, la recharge imprévisible (temporelle et géographique) des véhicules électriques et l’apport en énergie des panneaux solaires en proie à la météo ont tendance à faire varier la tension en fin de ligne et l’emmener sous des seuils indésirables.
Les onduleurs intelligents visent à optimiser les réseaux électriques, en injectant de la puissance réactive dans le réseau pour supporter le voltage localement. L’innovation permettrait donc d’économiser de 3 % à 10 % des pertes sur le réseau, selon le cas, estime Pierre Blanchet. De plus, l’injection de P réactive ne nécessite presqu’aucune puissance réelle, donc pratiquement aucun frais pour l’usager, seulement une communication avancée avec le gestionnaire de réseau pour coordonner l’ensemble.
Percée aux États-Unis et éventuellement au Québec
Le marché des États-Unis semble tout désigné pour la percée des convertisseurs solaires d’Idénergie puisque les prix de l’électricité moyens y sont élevés – parfois plus de 15 ¢ US/kWh – et le pays souffre d’un réseau électrique vétuste, à reconstruire progressivement, dans lequel la génération d’énergie locale permet de désengorger le réseau. Dans son carnet de commandes, l’entreprise doit livrer ses 200 premiers onduleurs intelligents au grossiste altE Store en Nouvelle-Angleterre pour 2020.
« Nous sommes présentement dans la course à la certification auprès du Groupe CSA, UL 1741 et IEEE 1547, certification que nous voulons obtenir d’ici la fin de l’année », glisse M. Blanchet.
Le marché québécois demeure dans la mire de Pierre Blanchet, qui est toutefois conscient de la barrière du bas prix de l’électricité. « Les problèmes vont commencer à se faire sentir ici aussi, lorsqu’on aura dépassé 25 % de masse critique de véhicules électriques qui se rechargeront sur le réseau et en raison d’un usage prématuré des transformateurs qui vont fonctionner à plus de 50 % de leur puissance nominale, problèmes qui apparaitront d’ici 2030 », prédit-il.
« On ne peut se battre contre les lois de la physique. Ce n’est pas vrai que les lignes électriques ont été conçues pour ça à l’époque et, tôt ou tard, les problèmes apparaitront. »
Bien qu’il défende l’utilisation de l’énergie solaire, M. Blanchet se dit conscient que les installations de panneaux solaires résidentiels ne sont pas encore rentables au Québec, malgré les discours d’experts vantant leur arrivée à parité avec l’hydroélectricité. Il milite pour qu’Hydro-Québec offre des incitatifs financiers – subventions aux panneaux solaires ou aux convertisseurs solaires – pour prévenir les problèmes futurs sur le réseau. « L’énergie solaire va désengorger le réseau et il faut commencer aujourd’hui », résume-t-il.
Abris solaires en démonstration
Tandis qu’elle traverse le processus obligé de certification, Idénergie ne chôme pas. Elle travaille sur un projet de démonstration à Shawinigan, au Centre d’excellence en efficacité énergétique (C3E). Ses convertisseurs solaires et chargeurs de batteries gèreront la charge et la décharge d’une batterie pendant que l’onduleur fera la démonstration d’injection de puissance réactive afin de récolter des données pour les extrapoler à grande échelle sur un réseau.
L’onduleur convertirait l’énergie produite par les panneaux solaires d’un abri d’autos comportant 35 panneaux photovoltaïques pour la réinjecter sous forme de courant électrique alternatif dans le réseau du bâtiment. L’énergie sert à alimenter les bornes de recharge sur place, les charges électriques locales ou encore, en cas de surplus, elle peut être réinjectée dans le réseau.
La batterie stocke une partie de cette énergie, qui pourra être réutilisée en période de pointe. En parallèle, l’onduleur améliore la qualité de l’onde et diminue les pertes en électricité. « Notre onduleur sera en compétition avec celui d’une autre marque connue, avec laquelle on comparera l’efficacité et la performance d’injection de puissance réactive dans le réseau pour en améliorer la qualité », précise Pierre Blanchet.
Après les barrières québécoises envers l’hydrolienne de rivière, Idénergie a su rapidement pivoter sa technologie d’électronique de puissance afin de répondre à un autre besoin grandissant : celui d’améliorer la résilience des lignes électriques en misant sur le réseau intelligent. Gageons que l’entreprise n’a pas fini d’innover et de proposer au Québec des idées à l’avant-garde pour sauver la planète à l’aide des énergies renouvelables.
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