Outre les préjugés tenaces vis-à-vis des femmes en sciences, les diplômées en génie sont confrontées à un système bâti par les hommes qui leur laisse peu de place. Aperçu des obstacles auxquels elles font face.
Catherine Mavriplis dénonce un «système qui est biaisé» puisqu’il a été bâti par les hommes. «Une étude sur le leadership a démontré que les femmes préconisent un leadership transformationnel tandis que les hommes s’appuient sur un leadership hiérarchique, souligne-t-elle.
En réunion, une femme seule dans la salle ne voudra pas nécessairement se démarquer», souligne la titulaire de la CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada) pour les femmes en sciences et chercheuse en génie mécanique à l’Université d’Ottawa. La doctorante en génie électrique Audrey Corbeil-Therrien, dont le témoignage se trouve dans la suite de ce dossier, en convient: trop souvent les femmes se laissent interrompre en réunion. «Maintenant, j’observe pour m’assurer que tout le monde parle», souligne-t-elle.
Entre autres défis auxquels les femmes sont confrontées, Catherine Mavriplis cite en premier lieu les préjugés. «Il y a environ 10 % des hommes qui vont ressentir un inconfort à être entourés de femmes ingénieures. Et s’il y a plus de 15 % de femmes au bureau, ils vont se sentir menacés», lance-t-elle à la blague.
À l’inverse, certains vont tenter de profiter de leur statut de chercheur pour approcher une femme, notamment dans les congrès et les conférences scientifiques, soulève Mme Corbeil-Therrien. «Quand on est une femme, on a toujours à se poser la question: est-ce qu’il veut juste parler de recherche ou il est en train d’essayer de scorer, ce qui fait que beaucoup de femmes se trouvent à faire moins de liens pendant les conférences parce qu’on évite ces situations qui pourraient devenir compliquées», explique-t-elle.
Il y a également le congé de maternité qui joue en leur défaveur. «Le retour n’est pas toujours facile, elles peuvent avoir été mises de côté pour les projets les plus intéressants», glisse Mme Mavriplis, soulignant que certaines d’entre elles vont venir faire leur tour une fois par mois pour s’assurer que leur place les attend.
Enfin, il y a l’aspect de la communication et de la négociation qui crée un clivage entre les hommes et les femmes. «La Chaire organise des ateliers sur les méthodes de communication plus masculines. Il y a une période d’apprentissage pour les femmes qui font face à des attentes sociales, par exemple de ne pas se fâcher en réunion.»
La touche féminine
Catherine Mavriplis estime que les femmes ont une vision différente, et qu’elles peuvent apporter un éclairage particulier sur la façon dont génie peut servir les femmes, par exemple en améliorant les diagnostics de cancer du sein. «Les femmes sont en minorité notamment en intelligence artificielle où les équipes sont peu diversifiées. Par exemple, pour les robots en soins infirmiers, les chercheurs ont-ils pensé à tout?» réfléchit-elle tout haut.
Au passage, elle salue l’initiative du Collège Algonquin qui réserve désormais 30 % de ses admissions aux femmes, une première initiative du genre au Canada. Le projet-pilote «We Saved You a Seat», d’une durée de trois ans, vise à accroitre le nombre d’inscription dans les quatre programmes en technologies les plus populaires, dont technique de génie électrique et génie électromécanique. Au-delà d’une place dans le programme, l’établissement promet de les soutenir avec des bourses spécialement dédiées aux femmes et un accès à des mentors dans l’industrie et dans le milieu de l’éducation.
De son côté, Ève Langelier se réjouit de l’objectif d’Ingénieurs Canada qui, avec l’initiative 30 en 30, souhaite atteindre 30 % d’ingénieures nouvellement inscrites dans leur ordre professionnel partout au Canada, d’ici 2030. Au Québec, en date du 31 décembre 2017, elles étaient 17,2 %. Leur représentation a augmenté d’un faible 1,2 % entre 2014 et 2016.
Le génie pour aider la société
Catherine Mavriplis a participé en tant que conférencière au plus récent congrès de l’ACFAS qui avait lieu cette année à l’Université du Québec en Outaouais. Elle coanimait la conférence Cinq Engagées pour le génie au service des femmes: quel leadership hier, aujourd’hui et demain, sous le thème Le génie au service des femmes et de la société. Elle y présentait une étude pancanadienne auprès d’ingénieure et de futures ingénieures à laquelle elle participe depuis deux ans.
Ces femmes ont été sondées sur leur conception du génie et l’importance qu’elles accordent à la contribution des femmes dans ce secteur. Selon les résultats préliminaires obtenus, après plus de 70 entrevues, les femmes sont davantage portées vers les arts et les types de génie qui peuvent aider la société, comme les technologies vertes et relatives à l’environnement ou encore l’utilisation des moyens de transport. «Elles veulent contribuer à la société, régler les problèmes sociaux», soulève-t-elle.
Ève Langelier croit que c’est la société qui amène les femmes à vouloir aider la société. «Ce qu’elles ne savent pas, c’est que le génie a un impact positif sur la société, mais les filles aiment davantage la biologie et la chimie. Elles veulent travailler en équipe. Mais ce n’est pas vrai que l’ingénieur travaille seul dans son labo. Pour les initier au génie, nous les faisons collaborer, toucher, et non seulement prendre des notes. On leur enseigne que ce n’est pas grave de se tromper, qu’il faut simplement recommencer.»
Les emplois les plus difficiles à décrocher pour une femme, selon Mme Langelier, sont encore dans le milieu de la construction, mais également en enseignement – un créneau combiné à la recherche souvent réservé davantage aux hommes.
Lire À peine 11 % de femmes étudient en génie électrique et le témoignage d’une doctorante en génie électrique qui s’épanouit dans la Silicon Valley.
Bruno Tremblay dit
Bien que je trouve l’initiative 30 en 30 très intéressante, elle me semble très peu réalisable si des efforts de vulgarisation des sciences du génie ne sont pas faits dès les premières années du primaire. Ayant déjà conçu et animé des ateliers de vulgarisation pour des élèves du primaire 3, 4 et 5, les filles ont pour la plupart déjà cristallisé leur idée de carrière. Celles qui sont intéressées aux sciences du génie se font dire par d’autres filles de leur âge que c’est trop compliqué. Ce nivelage par le bas sera difficile à combattre.
Normand Gosselin dit
Merci pour cette opinion.