Le public aime souvent critiquer Hydro-Québec, mais cela ne signifie pas qu’il renie son legs en matière d’ingénierie, plusieurs de ses grandes infrastructures étant des chefs-d’œuvre d’ingénierie. Hydro-Québec s’est bâti, en 75 ans d’histoire, une réputation plus qu’enviable à l’échelle internationale en raison de ses ingénieurs visionnaires, mais également des décisions audacieuses, à contre-courant pour l’époque, des élus gouvernementaux. Pensons, entre autres, à la nationalisation de l’électricité.
Le complexe de la Baie-James, dont la construction s’est amorcée en 1973, demeure à ce jour la plus grande centrale hydroélectrique du monde. La première ligne à haute tension à 735 kV – que l’Ordre des technologues professionnels du Québec considère comme «l’innovation technologique du 20e siècle» – a vu le jour grâce à l’ingéniosité de Jean-Jacques Archambault. Cet ingénieur a étudié, à la fin des années 50, la faisabilité de ce niveau de tension inégalé pour l’époque, alors que la tendance aux États-Unis était au développement de la ligne à 500 kV.
L’histoire d’une nationalisation
Tout a commencé avec la nationalisation de la Montreal Light, Heat and Power Consolidated et de la Beauharnois Light, Heat and Power et la création d’Hydro‑Québec. Une seconde phase de nationalisation de l’électricité a suivi à partir de 1963. Au fil des ans, 80 entreprises – distributeurs privés d’électricité, réseaux municipaux et coopératives d’électricité – sont passées dans les mains d’Hydro-Québec avec comme objectif d’uniformiser les tarifs et de faire en sorte que les Québécois en aient davantage pour leur argent. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une dizaine de distributeurs indépendants dans la province.
«Hydro-Québec doit son parcours à ses prédécesseurs et à ses élus, ainsi qu’à la pertinence des choix qu’ils ont fait pour rendre l’électricité plus abordable, tandis qu’on était dans un contexte où les besoins d’énergie allaient en grandissant et que les prix étaient élevés», rappelle Serge Abergel, directeur Médias et relations externes pour Hydro-Québec. Plusieurs entreprises avaient auparavant chacune leur territoire.
M. Abergel mentionne un facteur «chance». La topographie du Québec comporte plusieurs dénivelés qui créent d’importantes et nombreuses chutes d’eau. Il souligne aussi l’inventivité des ingénieurs qui ont pensé à construire des infrastructures à plus de 1000 km des grands centres et des lignes de transport d’énergie qui parcourent de «gigantesques» distances. «Il fallait énormément d’ambition», glisse-t-il.
Les journalistes Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, coauteurs du livre Branchée! Hydro-Québec et le futur de l’électricité, abondent dans le même sens. «Hydro-Québec n’a pas un parcours sans fautes, mais il est excellent, quand on le compare avec la plupart des services électriques du continent: ils n’ont jamais fait faillite et n’ont jamais été entraînés dans la spirale de la mort», soulève Jean-Benoît, en entrevue avec Électricité Plus.
«Les décideurs ont pris des décisions en vue de l’avenir, comme de construire une ligne à 735 000 V, à des moments clés de l’histoire, ajoute sa complice, Julie Barlow. […] Les Québécois sont fiers de l’âge d’or de ses barrages, mais ne connaissent pas la place d’Hydro-Québec dans le monde.»
L’expert en énergie Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, reconnait lui aussi que le parcours de la société d’État est «impressionnant», voire «grandiose». «Hydro-Québec a été créée avec très peu de choses pour devenir l’une des plus grosses compagnies d’électricité dans le monde avec un parc d’énergie entièrement renouvelable et une compétitivité incroyable.»
Parmi les bons coups d’Hydro-Québec, il mentionne la signature du contrat avec Terre-Neuve pour l’achat d’électricité produite à Churchill Falls au Labrador. Elle importe 31 TWh – ou 31 milliards de kWh d’énergie chaque année – contre la somme de 0,2 cent du kilowattheure.
Erreurs et faux pas
Le tableau n’est cependant pas tout rose. «La plus grosse erreur a été de retirer Hydro-Québec International des marchés en 2006. Une décision grave, alors qu’elle tente aujourd’hui de s’installer sur les marchés internationaux. Si tous ses actifs à l’international n’avaient pas été vendus, elle serait là où elle voulait être, il y a 20 ans», signale Jean‑Benoît Nadeau. Un mauvais coup aussi relevé par Roger Lanoue, consultant en énergie, et Pierre-Olivier Pineau.
En 2016, Hydro-Québec promettait de faire renaitre sa filiale internationale, ambitionnant de doubler ses revenus à 27 milliards, avec des achats à l’étranger, d’ici 2030. Une stratégie pour contrer la stagnation de la demande d’électricité au Québec. Si cette filiale avait été conservée, Hydro-Québec serait aujourd’hui un joueur de premier plan dans le marché mondial des infrastructures électriques, écrivent les deux journalistes dans leur livre.
M. Lanoue a fait 32 ans de carrière chez Hydro-Québec, dont cinq ans à titre de vice-président Recherche et planification stratégique, de 1999 à 2004. «L’arrêt des activités à l’international était une erreur. Hydro-Québec était parmi les leaders du domaine. Toute cette expertise qui aurait dû être conservée a été perdue. Il serait beaucoup plus difficile de reconstruire ça aujourd’hui, alors qu’il y a plusieurs conglomérats financiers plus agressifs sur le marché capables de prendre plus de risques.»
À la demande du gouvernement Charest, Hydro-Québec a liquidé de 2003 à 2006 ses actifs dans une douzaine d’installations à l’étranger, notamment ses parts majoritaires dans Transelec Chile S.A., une ligne électrique au Chili, faisant tout de même un profit de 939 M$.
Autre faux pas d’Hydro-Québec: confier les contrats éoliens à des producteurs privés. «Ce n’était pas la décision du siècle, Hydro-Québec aurait dû conserver ces contrats pour elle-même», mentionne Jean-Benoît Nadeau. Roger Lanoue ajoute que l’octroi de contrats éoliens a été nuisible puisque la demande d’électricité au Québec ne le justifiait pas. Le problème est qu’Hydro-Québec a toujours «surévalué la prévision de la demande d’électricité», selon Normand Mousseau, directeur de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal, qui a coprésidé la Commission sur les enjeux énergétiques de 2013-2014 avec Roger Lanoue.
Pour Serge Abergel, Hydro-Québec a agi avec les «meilleures données de l’époque», sans avoir idée de la crise économique qui allait s’abattre sur le monde en 2008 lorsqu’elle a octroyé des contrats d’approvisionnement en éolien dans les années 2000. «Il est difficile de prévoir l’imprévisible», laisse-t-il tomber.
Roger Lanoue précise qu’«avec la baisse des prix des gaz de schistes aux États-Unis et la baisse ou la stagnation de la demande d’énergie au Québec, à partir de 2007-2008, Hydro-Québec aurait dû ralentir l’ajout de nouveaux équipements de production, plutôt que d’aller de l’avant avec la construction de parcs éoliens et du projet de la Romaine, qui prive l’État et les Québécois de centaines de millions de dividendes».
Pierre-Olivier Pineau, lui, refuse de classer la construction du complexe La Romaine dans les mauvais coups d’Hydro‑Québec, malgré la controverse entourant le projet. «Hydro-Québec a su garder le chantier sous contrôle, il aurait pu y avoir quelques dérapages, dit-il sans passer sous silence les décès et accidents qu’on y a déplorés dans les dernières années. Il était clair dès le départ que cette centrale allait servir à l’exportation.»
En revanche, il accorde une mauvaise note à Hydro-Québec pour le développement de son Circuit électrique, un réseau de bornes de recharge de véhicules électriques «peu utilisé» et déployé «sans plan convaincant». «Ces bornes ont été installées sans qu’aucune analyse ne justifie un tel investissement. Quand on dépense sans réfléchir, c’est de l’argent perdu.»
Bien que les Québécois aiment se montrer critiques envers Hydro-Québec, ils sont curieux et admiratifs de la société d’État. Pour preuve, 42 000 spectateurs ont vu la pièce documentaire J’aime Hydro signée par la comédienne Christine Beaulieu depuis 2017. La pièce est offerte en baladodiffusion depuis la mi-mai et des supplémentaires en salles ont été annoncées jusqu’en novembre, avant que la pièce ne s’exporte en France en 2020.
Pour poursuivre la lecture de ce dossier, voir les articles de cette édition portant sur le centre de recherche d’Hydro-Québec, l‘impact environnemental des projects électriques, ainsi que nouvelles sources de revenus et opportunités pour rentabiliser les infrastructures.
Survol en photos des grands projets d’Hydro-Québec. Cliquer pour agrandir. (Photos: Hydro-Québec)
* Une mention antérieure de ce texte ne mentionnait pas l’achat de la Beauharnois Light, Heat and Power et le fait que des distributeurs indépendants opèrent toujours en 2019.
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