La question se pose souvent lorsque vient le temps de prendre une décision concernant l’installation de conducteurs : limiter les couts à court terme ou investir pour la sécurité et les économies à long terme. La Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a publié une chronique en 2001, sous la plume de Gilbert Montminy, ing., expliquant comment documenter une telle décision. La Chronique 213 de la RBQ est reproduite ici intégralement.
Grosseur de conducteur et coût d’exploitation
Introduction
La concurrence vive et les règles de l’économie actuelle imposent régulièrement aux concepteurs l’obligation de réduire les coûts afin d’obtenir un contrat. À priori, il semble impératif de ne pas surdimensionner indûment la grosseur des conducteurs d’une installation électrique. Toutefois, un client avisé prêtera une oreille très attentive à une argumentation lui laissant voir quelle est l’économie réelle.
Lors d’un projet, le concepteur aura à choisir la grosseur du conducteur nécessaire pour alimenter une charge spécifique. D’un calcul optimal résultera un coût très alléchant pour le client ayant une vision à court terme. Mais en est-il ainsi pour une planification à longue échéance ? Sans entrer dans tous les détails financiers, nous discuterons dans cette chronique de la possibilité d’économiser même si la facture d’installation est plus élevée.
Particularité
Prenons le cas où l’on veut alimenter une dérivation de moteur. Supposons qu’il s’agisse d’un moteur de 100 HP à 600 V, 3 phases, ayant un courant nominal de 95 A (par phase) et distant de 60 mètres de sa source d’alimentation. Le câble nécessaire sera donc de grosseur # 2 AWG (voir Section 28 du Code et Tableau 2 pour les conducteurs en cuivre convenant à 90ºC). Si l’on vérifie également la chute de tension (en supposant un maximum de 2 %) dans la dérivation en question, cette grosseur est largement suffisante (Article 8-102 et Tableau D3).
Cependant, qu’arrivera-t-il du coût d’exploitation ? Serait-il plus avantageux de grossir les conducteurs ? Afin de répondre adéquatement à la question, calculons la quantité d’énergie perdue en chaleur dans les conducteurs et comparons avec un cas où la grosseur des conducteurs a été augmentée. Il s’agit donc de calculer les pertes dans les conducteurs du câble alimentant le moteur. En supposant une température de fonctionnement de chacun des conducteurs de 60ºC et en prenant les chiffres de notre exemple, on obtient :
Rtotale = ALtotaleρ
ou
Rtotale = Résistance totale des conducteurs
ρ = Résistivité (cuivre à 60 oC dans le cas de notre exemple)
L = Longueur totale des conducteurs (incluant conducteur de retour)
A = Section du conducteur
Note : Pour un # 2 AWG , A = 33,6 mm2
Pour un # 0 AWG , A = 53,5 mm2
Ainsi :
Par conséquent, la puissance totale dissipée sera approximativement:
On remarque que la différence est de 360 W. Dans le cas d’une charge motrice alimentée 24 heures par jour, 365 jours par année, il s’agit d’une différence de perte d’énergie de :
À un coût fictif de 5 ¢/kWh, cela représente tout de même près de 160,00 $ par année. Bien entendu, une partie de cette énergie peut être reconnue comme pertes inutiles en chaleur. De plus, si l’on considère qu’il y a habituellement plusieurs moteurs dans une usine, cela laisse croire à d’énormes pertes d’énergie.
La figure suivante donne un résumé de la situation.
Cependant, avant de prendre une décision, plusieurs facteurs restent à examiner : température ambiante, saisons, rendement, durée de vie de l’équipement, coût et fréquence de remplacement, différence du coût d’installation.
A. Température ambiante : Celle-ci est influencée par la quantité d’énergie à évacuer provenant des pertes des circuits électriques. Elle contribue à augmenter la température de fonctionnement des conducteurs, d’où une augmentation des pertes en chaleur. Elle a également un impact direct sur la température de l’isolant du conducteur. Par exemple, si les pertes sont réduites en raison de l’augmentation de la grosseur des conducteurs, il sera peut-être possible d’installer un câble avec conducteur convenant à des températures de 60ºC plutôt que 90º
B. Saisons : Les pertes en chaleur des conducteurs, dans un local chauffé lors des périodes de temps froid, contribuent à diminuer les coûts de chauffage. Par contre, en période estivale on assimile cette chaleur à des pertes inutiles et souvent nuisibles.
C. Rendement : Certains appareillages demandent un courant supérieur pour compenser les chutes de tension. C’est souvent le cas d’un moteur qui augmente sa consommation de courant (d’où une augmentation des pertes des conducteurs qui l’alimentent) lorsqu’il y a une chute de tension significative à ses bornes. Ce fait est encore plus marqué si le moteur a à subir des démarrages fréquents.
D. Durée de vie : Un moteur qui surchauffe en raison d’une diminution de son rendement laisse décroître de façon considérable sa durée de vie. Ceci amène une augmentation du coût d’exploitation. Une installation de base à un coût légèrement supérieur augmenterait la durée de vie du moteur. Par contre, certains luminaires subissent l’effet contraire ; une chute de tension permet souvent une durée de vie accrue des lampes, sans trop réduire le rendement en éclairage (luminosité), et permet une bonne diminution de l’énergie perdue en chaleur par la lampe.
E. Coût et fréquence de remplacement : Les coûts de remplacement de l’équipement d’exploitation sont étroitement liés au rendement et à la durée de vie de l’appareillage. Trop souvent, ce facteur est négligé alors qu’un arrêt de production dans une usine est l’élément le plus coûteux. Ce dernier engendre rapidement d’énormes coûts.
F. Différence du coût d’installation : Selon le type de câble utilisé, la différence de coût d’installation entre un câble ayant des conducteurs d’une grosseur# 2 AWG et un autre possédant des conducteurs de grosseur # 0 AWG peut être relativement faible. En effet, le coût de la main-d’oeuvre ne verra pas de différence remarquable relativement à l’installation initiale. Le matériel d’ancrage et de terminaison du câble sera légèrement supérieur si l’on augmente la grosseur des conducteurs mais certainement pas de manière catastrophique. Il est donc possible de réaliser rapidement un retour sur l’investissement.
CONCLUSION
Plusieurs facteurs sont à considérer dans le choix de la grosseur d’un conducteur. À la conception, on est forcé d’abord de respecter les prescriptions du Code de l’électricité qui consiste en une norme minimale. Cependant, il peut s’avérer avantageux, dans bon nombre de cas, d’augmenter les coûts d’installation en grossissant les conducteurs pour ainsi apporter les gains suivants :
- diminuer les pertes d’énergie et la température des conducteurs ;
- augmenter la durée de l’appareillage ;
- augmenter le rendement ;
- diminuer les coûts de production et les arrêts très coûteux.
Bien que cette approche soit très valable dans les cas d’artères et de dérivations alimentant des charges motrices, elle est souvent moins marquée dans les cas de circuits d’éclairage où l’on a quelquefois tout intérêt à allouer une petite chute de tension. Quoi qu’il en soit, tant le concepteur que l’installateur peuvent apporter les arguments valables au client, qui possède le choix de la décision finale.
Gilbert Montminy, ing. 2001-06-26
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