Dans un rapport étoffé sur la gestion de l’amiante, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) recommande au gouvernement du Québec d’abaisser de façon drastique la norme d’exposition des travailleurs à l’amiante et de mettre en place un registre des bâtiments susceptibles d’en contenir, ainsi qu’un registre des travailleurs exposés à cette matière.
Après onze mois de consultation, la Commission d’enquête du BAPE, présidée par Joseph Zayad, note dans son rapport que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) tarde à intervenir sur la valeur maximale d’exposition des travailleurs, contrairement au gouvernement fédéral. Le processus de révision de ces valeurs, entrepris en 2017, n’a mené à aucun repositionnement jusqu’à maintenant, comme le souligne le dossier d’Électricité Plus publié en 2019.
Le rapport, déposé le 7 aout dernier, souligne que les valeurs limites d’exposition des travailleurs à l’amiante sont très élevées au Québec, comparativement à celles du Canada, des États-Unis et de plusieurs pays européens. À une fibre par centimètre cube, la norme québécoise est dix fois plus élevée que celle du fédéral.
Considérant la toxicité de l’amiante, la Commission recommande que la valeur limite d’exposition des travailleurs soit abaissée à 0,1 fibre par centimètre cube (f/cm3) «dans les plus brefs délais» pour tous les types d’amiante afin de l’harmoniser avec la norme canadienne. Ottawa exige depuis 2017 l’usage d’un vêtement de protection dès que la concentration d’amiante atteint 0,1 fibre par centimètre cube, une norme qui est aussi recommandée par l’INSPQ depuis 2003. Le Canada a aussi adopté en 2018 un règlement interdisant l’utilisation, la vente, l’importation et l’exportation d’amiante et de produits qui en contiennent.
Les auteurs du rapport notent que Québec ne considère pas les fibres d’amiante d’une longueur inférieure à cinq micromètres comme toxique. Pourtant, leur potentiel toxique est désormais reconnu par la science, au même titre que celui des fibres plus longues. Ils estiment donc que le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère et celui sur la santé et la sécurité du travail devraient être réexaminés par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) et la CNESST respectivement.
Amiante et santé des travailleurs
Le rapport souligne que les travailleurs du secteur de la construction du bâtiment sont désormais les plus atteints par les maladies liées à l’exposition à l’amiante. Il serait donc indiqué que la CNESST renforce les mesures de protection et de prévention pour ces travailleurs et qu’elle mette en place un registre des travailleurs exposés à l’amiante, selon ses auteurs. Un tel registre permettrait une évaluation juste des dossiers, le cas échéant.
Tous les travailleurs susceptibles de se retrouver en présence d’amiante devraient désormais obtenir un permis après avoir suivi une formation théorique et pratique obligatoire.
Les commissaires estiment essentiel qu’un registre des bâtiments susceptibles de contenir de l’amiante soit constitué dans une optique de réduction de l’exposition et du risque sur la santé, tant pour les travailleurs que pour la population.
À l’heure actuelle, au Québec, ce sont les employeurs qui ont la responsabilité de tenir un registre, qui n’est accessible que sur demande aux travailleurs qui doivent œuvrer dans ces bâtiments. Les commissaires estiment qu’il «faudrait minimalement responsabiliser les propriétaires par la tenue de registres de gestion sécuritaire de l’amiante».
Révision du processus d’indemnisation
En parallèle, la Commission d’enquête demande à la CNESST de réviser et d’alléger son processus d’indemnisation des travailleurs ou de leur succession et d’y inclure un service d’accompagnement des travailleurs ou de leur famille. «Dans le cas précis du mésothéliome de la plèvre chez un travailleur exposé à l’amiante, il faudrait également que la présomption soit irréfragable (incontestable), sachant que 80 % des cas de ce type de cancer sont liés à une exposition à l’amiante», indique aussi le rapport.
Des réactions positives
L’Association des victimes d’amiante du Québec (AVAQ) accueille favorablement l’ensemble du rapport et appuie le resserrement des normes. Dans une entrevue à Radio-Canada, l’épidémiologiste et conseiller scientifique de l’AVAQ, Norman King, soulignait que le fait que le BAPE indique que toutes les formes d’amiante sont cancérigènes ‑ chrysotile ou autres ‑ devrait mettre fin aux débats devant les tribunaux sur la question de non-nocivité de l’amiante ou de seuil d’exposition nécessaire avant d’être toxique.
L’AVAQ presse maintenant le gouvernement d’agir et d’exiger des actions de la CNESST. Il pousse également plus loin en souhaitant que d’ici cinq ans le Québec rejoigne les quelques pays européens, comme la Suisse et les Pays-Bas, pour qui la norme est encore 10 fois moins élevée, soit 0,01 f/cm3.
La CNESST souhaitait prendre connaissance du rapport avant de le commenter.
Le Rapport d’enquête et d’audience publique – L’état des lieux et la gestion de l’amiante et des résidus miniers amiantés est disponible en ligne, dans la section derniers rapports diffusés. Ses 343 pages contiennent une description détaillée du dossier, les préoccupations des participants, l’analyse de la commission ainsi que l’ensemble des constats et des avis qu’elle en dégage.
Lire aussi notre dossier sur l’amiante ici.