La métropole montréalaise lui doit le premier Congrès mondial de l’Énergie en 2010, qui a réuni les gros canons du débat entourant la situation énergétique mondiale. Femme de tête et de détermination, Marie-José Nadeau n’a jamais lâché le morceau, même après avoir perdu le Congrès de 2007. Ex-numéro deux d’Hydro-Québec, dont le mandat à la tête du Conseil mondial de l’Énergie a pris fin au début novembre, Mme Nadeau continue d’être impliquée sur tous les fronts énergétiques. Bilan d’une carrière jalonnée d’obstacles franchis.
Marie-José Nadeau a été la première femme à la présidence du CME, un réseau réunissant les leaders défendant les ressources énergétiques et leur utilisation durable, fondé il y a près d’un siècle, et dont le siège social se situe à Londres. Qui plus est, elle a été la première présidente élue, en 2013, plutôt qu’acclamée à l’instar de ses prédécesseurs. Son mandat a pris fin il y a quelques semaines à peine.
« Une femme candidate à la présidence, ça bousculait les mentalités, surtout en Asie, en Amérique du Sud, en Europe et au Moyen-Orient. On m’a même suggéré en douce de retirer ma candidature… J’étais vraiment choquée, cela m’a donné un regain d’énergie : je me suis dit qu’ils ne m’auraient pas, les bonjours! »
Pour son mandat de trois ans, elle s’est fixé trois objectifs précis. « Le premier, un objectif de développement. L’organisation sous ma présidence a pu accueillir de nouveaux membres, passant de 93 à 100 pays – ce que je considère un beau succès. Mon deuxième était de faciliter la diversification de la représentation féminine, mais aussi des jeunes. Ç’aurait été un échec de quitter sans qu’une femme siège au conseil d’administration – j’ai réussi à ce que deux femmes y soient nommées, une de Bolivie; l’autre d’Égypte. »
Aussi, sous sa gouverne, le programme Future Energy Leaders, qui regroupe 100 jeunes de moins de 35 ans, des leaders de demain en énergie, a vu le jour. Celui-ci est notamment à l’origine du World Energy Academy, école fondée en Argentine, dont le modèle s’est exporté au travers une dizaine de pays.
« En troisième, j’ai voulu changer les mécanismes internes de gouvernance pour m’assurer de la rigueur de nos études, exemptes de toute influence », résume Mme Nadeau.
Des mines de charbon au gaz naturel
Au cours des trois dernières années, Marie-José Nadeau fait le constat que la numérisation et l’évolution technologique ont bousculé les idées préconçues et les modèles d’affaires. La conférence de Paris sur le climat, l’an dernier, a constitué un tournant pour la volonté de gérer la consommation énergétique et a incité la prise d’autonomie face au fournisseur traditionnel d’énergie.
« Les individus sont de plus en plus en état de méfiance face aux institutions traditionnelles. On travaille sur les panneaux solaires, l’autonomie des batteries, le stockage d’énergie et les façons de gérer l’énergie de façon autonome. C’est un mouvement mondial, et pour [que] le Canada [entre dans cette mouvance], ce n’est qu’une question de temps. L’Allemagne a dû revenir au charbon, parce que ses centrales étaient un choix plus économique, mais il y a des panneaux solaires partout. On prévoit maintenant la fermeture des centrales au charbon pour 2021. »
Quant au gaz naturel, Mme Nadeau pense que cette forme d’énergie prendra encore plus d’espace dans les années à venir. « Les parcs nucléaires ont de l’âge et sont contestés, le pétrole va diminuer à terme – et on voit le gaz naturel prendre de l’importance sous forme liquide. Plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité, les gens chauffent avec du bois, de la biomasse, des combustibles qui affectent la santé. Il reste le charbon, le nucléaire, qui est cher, et le gaz naturel, la moins polluante des sources d’énergie. Je crois que ce sera plus qu’une énergie de transition : l’industriel a besoin de cette énergie complémentaire. »
Selon la présidente sortante du CME, le Québec peut se compter chanceux de bénéficier de l’hydroélectricité, bien qu’elle soit peu exportée au-delà du nord-est des États-Unis. « Nous avons des contraintes physiques, et c’est une question de prix. Les Américains exploitent le gaz de schiste à bon compte et il faut concurrencer le prix local, le transport et la disponibilité de la ressource », explique Marie-José Nadeau.
Enfin, impossible de passer sous silence l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et l’impact anticipé sur le recours aux énergies renouvelables. La position inquiétante de M. Trump face au phénomène des changements climatiques – bien que révisée devant les journalistes du New York Times – a-t-elle semé l’émoi dans les rangs du CME? « C’est sûr que c’est inquiétant, conclut Mme Nadeau, mais on verra la part du discours et de l’action. Je serais étonnée que les centrales au charbon reprennent face [à la production] de gaz naturel. Il y a des règles de marché, de transparence, à respecter. Il est trop tôt pour juger, je reste extrêmement prudente. »
Bref, cet enjeu restera un dossier à suivre pour quiconque s’intéresse aux énergies vertes.
Carrière en trois étapes
Revenant sur sa carrière, Marie-José Nadeau estime qu’elle s’est forgée en trois étapes. La première a été consacrée à la formation. Elle a obtenu sa maitrise en droit public de l’Université d’Ottawa après avoir été choisie pour un stage à la Cour suprême du Canada. La seconde a été dédiée à la famille – épouse d’un homme politique, l’ex-ministre libéral Yves Séguin, elle a eu trois enfants -, étape lors de laquelle elle s’est concentrée sur « son développement personnel ».
Puis, après 45 ans, la partie déploiement. Si elle admet ne pas adhérer à aucun modèle de femme, elle estime s’être inspirée de gens inspirants qui ont réussi. « Les femmes peuvent aspirer à tout, selon leurs ambitions. Elles peuvent s’accomplir et accomplir de grandes choses. Elles ont les capacités intellectuelles, une acuité que leurs collègues masculins n’ont pas, de l’écoute. Elles ont tout pour réussir, mais il faut être capable de faire des compromis – et j’en ai fait – quand c’est le temps et assumer ses choix. »
Encore sollicitée de toutes parts, l’avocate de formation, récipiendaire de la distinction Avocat émérite en 2009, anime des conférences partout dans le monde, du Moyen-Orient aux États-Unis, ses publications se faufilent dans les magazines et journaux internationaux et elle cumule les fonctions dans les conseils d’administration.
Après 18 ans d’implication au Conseil mondial de l’Énergie, elle partage désormais son temps entre ses comités aux affaires économiques et sociales des Nations Unies, en plus de siéger au conseil d’administration de la multinationale française de l’énergie, Engie, et du détaillant de l’alimentation Métro. Marie-José Nadeau est encore souvent invitée lors de forums internationaux sur les enjeux de l’énergie.
ndlr : Le Magazine a publié un article sur Marie-José Nadeau lors de son élection à la présidence du Conseil mondial de l’énergie. On peut consulter cet article en cliquant ici.