On compte plusieurs centaines d’incendies résidentiels au Canada chaque année, dont une portion significative engendre des dégâts matériels considérables, certains entraînant même de graves blessures et de tragiques pertes en vies humaines. Un groupe d’experts du CCÉ (Code Canadien de l’électricité) s’est longuement penché sur la question et a apporté une modification susceptible d’infléchir les tendances au chapitre de la sécurité dans les demeures canadiennes. Cette modification est entrée en vigueur avec la publication de la 23e édition de la Partie 1 du Code, le 5 janvier. Au Québec, cette modification pourrait entrer en vigueur lorsqu’une prochaine édition du code aura été homologuée et publiée sous le titre de Code de construction du Québec, Chapitre V-Électricité. Les rumeurs veulent que la prochaine publication du code serait faite vers la fin de 2016. Elle devrait compter plusieurs centaines de modifications puisque la dernière édition est celle de 2010, soit six ans de changements.
Pris dans leur ensemble, les chiffres sont effarants. Pour mieux les analyser, il faut d’abord les répartir en fonction des foyers et des sources des incendies. Au Canada, la lutte contre les incendies et les statistiques connexes sont du ressort des provinces et des territoires, où les autorités fixent leurs propres paramètres de déclaration et de classification des incidents.
Il est ici de mise de saluer tout particulièrement le Québec et l’Ontario, qui ont financé de grandes analyses scientifiques dans le but d’élaborer des plans visant à réduire les pertes matérielles et humaines causées par les incendies résidentiels. Les résultats de ces analyses, de même que des recommandations afférentes, apparaissent dans des rapports annuels qu’on peut consulter en empruntant les liens suivants :
http://www.esasafe.com/about-esa/reports-and-stats/electrical-safety-report
Les experts techniques de la section 26 du CCÉ se sont penchés sur les causes potentielles d’incendies et sur les endroits où ils se déclarent le plus souvent. Examinant les technologies disponibles, ils ont alors déterminé que les gains en matière de prévention valaient amplement les coûts liés à l’installation de disjoncteurs-détecteurs d’amorçages d’arc (DDAA) dans toutes les résidences. Cet examen approfondi a duré six ans, produisant une proposition qui a été officiellement examinée et révisée dix fois, établissant du même coup un record en ce qui a trait à la longueur et à la profondeur des délibérations.
La technologie actuelle des DDAA au Canada
Actuellement, les codes n’exigent l’installation de DDAA que dans les chambres à coucher, pour une protection de dérivation intramurale seulement, qui ne s’étend pas aux dispositifs enfichés. Sans y aller dans le détail, disons que les appareils qu’on branche dans ces circuits ne font pas l’objet d’une entière supervision. Or, une portion significative des défaillances observées se produit au niveau de cordons et d’accessoires dégradés par l’usage, les traitements abusifs ou le passage du temps qui ne sont pas adéquatement contrôlés du fait des limites présentes de la technologie, même s’ils sont connectés à des prises de chambre à coucher.
Ce que l’avenir nous réserve
Bientôt, tous les circuits de branchement résidentiels devront être protégés par des DDAA. Les seules exceptions seront les dérivations de gros appareils ménagers, comme les réfrigérateurs, les lave-vaisselles et les micro-ondes, de même que celles qui sont déjà dotées d’un disjoncteur-détecteur de fuites à la terre (DDFT), comme dans les salles de bain et les nouvelles cuisines.
Le sous-comité responsable de la section 26 du CCÉ a choisi de faire preuve de réserve en n’appliquant pas tout de suite les exigences en matière de DDAA aux gros appareils afin de donner le temps aux consommateurs de se familiariser avec ces dispositifs et leurs fonctions.
Suivant l’obligation il y a plusieurs années d’installer des DDAA dans les chambres à coucher, bon nombre de déclenchements ont été interprétés comme étant sans raison. Cela avait alors nui à la réputation de ces dispositifs, et c’est pourquoi le comité responsable de la Partie I du CCÉ a décidé d’adopter une approche plus graduelle, susceptible de favoriser une meilleure compréhension de la technologie et une acceptation plus répandue au sein de la population en général.
De quoi les DDAA nous protègent-ils?
Les DDAA nous protègent contre les amorçages d’arc. Nombreux sont ceux qui croient que ces amorçages ne sont que des courts-circuits, ou du moins, qu’ils en sont le résultat. Ils n’ont pas tort, mais pour faire sauter un fusible ou déclencher un disjoncteur, ces courts-circuits doivent être relativement importants. Les DDAA s’occupent des occurrences plus faibles, difficiles à détecter par les mécanismes habituels de protection contre les surcharges.
Les amorçages d’arc sont-ils fréquents?
Les statistiques démontrent qu’un grand nombre de cas d’incendies attribués aux systèmes et appareils résidentiels peut être attribué à une forme ou une autre d’arcs électriques. Il s’agit de situations où les mécanismes de protection contre les surcharges sont tout simplement incapables de faire leur travail.
Y a-t-il plusieurs types d’amorçage d’arc?
Il en existe deux, soit ceux d’arc parallèle et ceux d’arc en série.
Les arcs parallèles se produisent entre un élément sous tension et un autre relié à la terre ou connecté à un circuit de tension différente.
Les arcs en série sont un peu plus difficiles à expliquer. Ils arrivent quand un raccord n’est pas solide ou quand les extrémités d’un fil brisé se touchent presque, permettant la formation d’un flux plasmatique entre elles. Le courant passe alors dans ce flux de gaz ionisé. Ce type d’arc ne survient toutefois que quand l’appareil dont la connexion est endommagée est lui-même en marche ou allumé.
Exemples d’amorçages d’arc parallèle et sériel
On peut notamment engendrer un arc parallèle en insérant un tournevis dans un appareil; quand la pointe touche une pièce sous tension et la tige entre en contact avec un élément mis à la terre, l’étincelle caractéristique se produit. On peut aussi penser aux cas où on effleure par mégarde un boîtier d’équipement en manipulant un fil sous tension dont l’extrémité est dénudée.
Pour ce qui est des arcs en série, un exemple type serait une prise dont les raccords se défont. Les plus vieux se souviendront également des câbles d’aluminium utilisés il y a 45 ans dans les maisons et sur lesquels apparaissait de l’oxydation qui nuisait au passage du courant, engendrant la surchauffe des terminaisons, puis la défaillance des installations. Des brins brisés au niveau de ces terminaisons peuvent aussi provoquer des amorçages s’il y a suffisamment de courant, surtout si les fils et les bornes sont maintenus à proximité les uns des autres.
Pourquoi exige-t-on une protection contre les amorçages d’arc dans les milieux résidentiels seulement?
Parce que c’est là où se produisent le plus d’incidents, tout simplement!
Les statistiques sont claires : les nombreuses défaillances de systèmes électriques ont surtout lieu dans des installations résidentielles. On en trouve moins ailleurs parce que dans les milieux institutionnels, commerciaux et industriels, les fils et câbles de dérivation sont protégés mécaniquement au moyen de conduits, de tubes ou de blindages. Dans les maisons, les circuits sont cachés à l’intérieur des murs où ils peuvent être endommagés par le temps, les erreurs de raccordement ou de simples accidents. C’est bien connu : il suffit de planter un clou en vue de suspendre un tableau ou d’insérer une vis dans le but de soutenir une armoire pour percer accidentellement l’isolant d’un fil. Il faut aussi considérer le fait que nous utilisons au quotidien beaucoup plus d’appareils que par le passé. Si les demeures d’antan ne comptaient que quelques prises par pièce, celles d’aujourd’hui doivent bien en avoir une tous les deux mètres! Autrefois, les rallonges proliféraient, et de multiples « pieuvres filaires » s’accrochaient aux sorties électriques. Les brins des cordons ainsi tordus ou piétinés se cassaient, engendrant des arcs sériels. Quand les appareils auxquels les cordons en question étaient reliés étaient sous tension, ces arcs risquaient d’entraîner des surchauffes, une dégradation des contacts et des défaillances, dont certaines pouvaient être désastreuses. Les prises usées ne pouvant peu ou plus retenir les lames des fiches qu’on veut y brancher constituent également un bon exemple de détérioration des contacts électriques susceptibles de mener à des amorçages d’arc en série.
Comment les DDAA fonctionnent-ils?
Les DDAA contrôlent le courant qui circule dans le circuit auquel ils sont raccordés par l’intermédiaire d’une série de bobines qui encerclent chaque conducteur de la dérivation. Ce courant connaît d’infimes variations, notamment quand on met un appareil sous ou hors tension ou un quand un dispositif consomme plus ou moins d’énergie. Ces variations sont analysées de façon à détecter celles qui pourraient être indicatrices d’arcs, et si une l’est, le courant est automatiquement coupé.
Où devrait-on installer des DDAA?
Depuis le 5 janvier 2015, le CCÉ reconnait deux types de DDAA : les modèles combinés en forme de disjoncteur et les modèles combinés pour dérivations (DDAA-D); ceci entrera en vigueur à la fin de 2016 au Québec, lorsque la nouvelle édition du code le sera.
Les DDAA combinés en forme de disjoncteur ressemblent en tout point aux dispositifs actuellement utilisés et exigés, à la différence qu’ils sont conçus pour détecter les arcs parallèles et en série jusqu’aux charges enfichées, alors que les modèles existants ne le peuvent pas. Afin d’être bien clair, le DDAA en forme de disjoncteur est aussi un disjoncteur protégeant contre les surintensités, c’est un dispositif à deux fonctions.
Également « combinés » (capables de détecter les arcs parallèles et en série), les DDAA-D s’installent dans des boîtes murales. Le CCÉ exige qu’ils soient mis dans la première prise de la dérivation à protéger. Comme ils ne sont pas placés au point d’origine de cette dérivation, la longueur de câble entre eux et le panneau où le disjoncteur régulier est situé n’est pas protégée; le CCÉ requiert qu’on le fasse mécaniquement, au moyen de conduits, de tubulures ou de blindages.
Portée des exigences en matière de DDAA
Les exigences du CCÉ en matière de DDAA :
- s’appliquent aux installations résidentielles;
- visent la plupart des dérivations de 120 V c.a., 15 ou 20 A, contenant des prises;
- ne touchent pas encore les circuits d’éclairage;
- ne portent pas sur certains circuits dédiés de prises, comme ceux de pompes de puisards et de gros électroménagers.
Les analogies entre les DDFT et les DDAA
Les DDFT sont des dispositifs courants; on les trouve partout dans les salles de bains, les installations extérieures et, depuis peu, dans les cuisines. Ils se présentent le plus souvent sous forme de prises dotées de deux boutons sur leur face, un pour effectuer des vérifications, et l’autre pour réarmer le dispositif après qu’il ait été déclenché ou mis à l’essai. Il existe aussi des versions pour panneau, aussi dotées de deux boutons. Tous les modèles réagissent à la détection de fuites à la terre de quatre à six milliampères.
Les DDAA se présentent dans les deux mêmes formats. Ils ont aussi des boutons de vérification et de réarmement, et leurs mécanismes internes ressemblent à ceux des DDFT, mais ils sont conçus pour détecter les amorçages d’arc au lieu des fuites à la terre.
Deux bobines supplémentaires sont cependant requises pour analyser le courant de la dérivation visée. Les DDAA sont donc légèrement plus volumineux que les DDFT de même type. La conception des circuits de contrôle de ces deux dispositifs est toutefois fort semblable.
De plus, pour un DDAA, ce n’est pas la somme des courants à chaque bobine qui importe, mais bien leur comportement, potentiellement influencé par des arcs. La Loi d’Ohm dit qu’en condition de court-circuit, l’intensité tend vers l’infini, alors que la tension passe à zéro. Or, pour ce qui est des arcs, dont la puissance est inférieure aux seuils de détection des dispositifs actuellement utilisés contre les surcharges, les variations d’intensité et de tension sont beaucoup moins importantes. Les arcs sont en outre interrompus deux fois par cycle, lors du passage à zéro de l’onde sinusoïdale.
Les avant-gardistes envisagent le jour où les DDFT et les DDAA seront fusionnés en un seul dispositif. Cela est fort possible, mais seul un fabricant (Siemens) a dévoilé une telle nouveauté en forme de disjoncteur DDAA combiné.
Produits dérivés des DDAA
Bien que les circuits d’éclairage ne soient pas requis d’être protégés par un DDAA, un circuit alimentant de l’éclairage et des prises est très commun. Le dispositif illustré incorpore un DDAA et un interrupteur simple, ce qui permet de protéger un circuit de prises dérivé d’un circuit d’éclairage.
Combien de DDAA faudra-t-il installer dans chaque maison?
Le nombre de DDAA requis dépend bien entendu de la taille des résidences, mais comme chaque dérivation ne peut compter que 12 prises au plus, on s’attend à ce que chaque maison en nécessite de quatre à six.
Conclusion
Ceux d’entre nous qui se préoccupent de la sécurité des installations électriques s’attendent à une réduction de la quantité d’incendies, de dommages matériels et de pertes humaines au cours des prochaines années. Ayant déjà constaté une diminution des électrocutions depuis l’avènement des DDFT, nous prévoyons en effet une baisse similaire à la suite du déploiement des DDAA, qui exigeront par ailleurs un investissement bien moindre que les coûts potentiels de tels incidents.
ndlr : M. Pierre Desilets est ingénieur, conseiller technique chez Leviton, à Montréal.