PME, grandes entreprises et regroupements de consommateurs demandent au gouvernement Legault de renoncer à soustraire Hydro-Québec de l’examen de la Régie de l’énergie et d’abandonner le projet de loi 34 qui fera grimper les tarifs d’électricité pour les consommateurs.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité et Option Consommateurs font front commun pour réclamer le retrait du projet de réforme de la tarification de l’électricité. Ils demandent au gouvernement de traiter séparément le remboursement de 500 millions de trop-perçus promis aux consommateurs d’électricité et les changements aux pouvoirs de la Régie dans la fixation des tarifs de la société d’État.
Le plan pour encadrer la fixation des prix de l’électricité, déposé dans le cadre du projet de loi 34, prévoit la remise de 500 millions$ aux consommateurs sur leur facture d’électricité dès les premiers mois de 2020 et un gel des tarifs d’électricité en 2020. Ces mesures seraient financées à partir des 1,5 milliard de dollars perçus en trop par Hydro-Québec auprès de ses clients au cours des dernières années. Une somme qui, selon la loi, doit être remise aux Québécois, ce qui ne se faisait pas directement. La somme était considérée dans l’établissement annuel des tarifs par la Régie de l’énergie.
Pour les quatre années suivantes, les augmentations annuelles seront limitées à l’inflation. Ensuite, soit à partir de 2025, Hydro-Québec ne modifierait plus ses tarifs annuellement, mais à tous les cinq ans. Ainsi, la Régie évaluera les couts requis pour Hydro-Québec qu’une fois tous les cinq ans, au lieu d’une fois par année.
Cette baisse du pouvoir de la Régie est l’aspect qui provoque le plus de protestations. La FCEI craint que les PME et les contribuables écopent d’une hausse de tarifs. Elle s’inquiète également que les projets d’investissement d’Hydro-Québec ne soient plus examinés par la Régie, alors qu’ils peuvent mener à une augmentation des couts de distribution de l’électricité, ainsi que du peu d’information que la Régie pourra exiger d’Hydro-Québec.
Les trois regroupements, qui représentent toutes les catégories de clients d’Hydro-Québec souligne que le projet de loi 34 ferait du Québec une des rares juridictions en Amérique du Nord où les prix de l’électricité ne seraient pas fixés par un organisme de règlementation indépendant
Fausse solution?
Le gouvernement de François Legault soutient que cette loi serait la solution pour redonner aux Québécois le 1,5 milliard de trop-perçus. Pour les experts et les élus des partis d’opposition, c’est de la poudre aux yeux, comme l’a déclaré le député et porte-parole libéral en matière d’énergie et de ressources naturelles, Saul Polo. Selon ce dernier, si le projet avait été appliqué au cours des quatre dernières années, la hausse des tarifs d’électricité aurait été de 5,2 % plutôt que 2,6 %.
Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, s’est défendu en rappelant que la croissance des tarifs est semblable à celle de l’inflation depuis de nombreuses années et, qu’en 2014 et 2015, la hausse tarifaire a été plus élevée que l’inflation (4,3 % contre 1,4 % et 2,9 % contre 1,1 %), ce qui défendrait le principe d’indexer les tarifs à l’inflation. Toutefois, en 2016, 2017, 2018 et 2019, les hausses tarifaires n’ont pas dépassé 1 % et sont demeurées égales ou inférieures à l’inflation. En 2017, les tarifs ont augmenté de 0,7 % et l’inflation de 1 %. En 2018, la hausse tarifaire était de 0,3 %, alors que le taux d’inflation était de 1,7 %.
Le ministre précise que dans les dernières années, Hydro avait fixé ses augmentations en deçà de l’inflation, mais dans les 15 dernières années, la hausse moyenne rejoint exactement l’indice des prix à la consommation. Une hausse de tarifs de 1 % représente environ 100 millions de recettes pour Hydro. Renoncer à 1,5 milliard représente une réduction, un «allègement» théorique et approximatif d’environ 15 % sur une période de cinq à sept ans.
Pour le député du Parti Québécois Sylvain Gaudreault, le gouvernement est en train de commettre une erreur majeure, car cette loi menacerait le revenu disponible des ménages ainsi que les projets d’investissement régionaux.
Avant d’être au pouvoir, M. Legault plaidait pour une baisse des tarifs, mais son argumentaire a changé, comme on l’a entendu dernièrement à l’Assemblée nationale. «Je trouve ça assez spécial que le Parti libéral, qui supposément est pro environnement, demande de baisser les tarifs d’électricité, donc de donner des incitatifs pour gaspiller l’énergie. Ce n’est pas une bonne idée.»
«Hydro est morte de rire»
Pour les experts, Hydro-Québec sortira gagnante si le projet de loi est adopté. Pour l’analyste en énergie Jean-François Blain, indexer les tarifs «produira des augmentations tarifaires et une croissance des revenus, bénéfices et dividendes bien plus élevées que le résultat du processus habituel de fixation des tarifs par la Régie».
Le consultant en stratégie environnementale Louis-Gilles Francoeur a déclaré à l’émission RDI Économie: «C’est un geste grave, car il suspend l’autorité de la Régie qui est le garde-fou des différents types de consommateurs d’électricité et qui est là pour faire des examens en profondeur des tarifs d’Hydro-Québec.» Cet ex-vice-président du Bureau d’audiences publiques en environnement ajoute que si on ramène les tarifs à l’inflation, «Hydro-Québec est morte de rire. On lui donne une augmentation dont les consommateurs feront les frais».
Normand Mousseau, spécialiste des questions énergétiques de l’Université de Montréal, croit que les prochaines hausses, après la fin du gel en 2020, pourraient en faire sursauter plusieurs. «Les consommateurs vont se faire avoir dans deux ans, c’est clair. On risque d’avoir des augmentations plus élevées que par le passé si la Régie de l’énergie n’est plus là pour surveiller Hydro-Québec.»