« L’industrie du transport – surtout lourd – est la plus longue à transformer », tranche Dr Christoph Frei, à la suite de son allocution sur les grands enjeux mondiaux énergétiques. Dr Frei était l’invité du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), le 15 septembre, dans le cadre de la série Environnement, où il a animé le déjeuner-conférence « Les nouvelles frontières de l’énergie : mener la triple transition ». Sur l’enjeu de la durabilité, le secteur de l’énergie fait face à un « trilemme » – au sens de dilemme à trois choix – soit tant au chapitre de l’aspect sécurité, qu’à celui de l’environnement et de l’équité.
« La moitié du capital mondial est investi dans l’énergie – c’est énorme. Il faut regarder les endroits qui changent le plus lentement : le transport. Et dans le transport, l’électrique est encore nettement plus cher, le gaz naturel est meilleur marché. D’ici à la transition énergétique, si le gaz peut faire une différence en tant que vecteur de transition, au niveau des dépenses en CO², – c’est génial ! » Car, rappelons-le, le secteur du transport est le plus grand responsable, à 43 %, des émissions de gaz à effet de serre; le second étant les industries, avec près de 31 % des émissions.
Pour le secrétaire général du Conseil Mondial de l’Énergie (CMÉ), Christoph Frei, la transition industrielle des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) polluantes vers des énergies de sources renouvelables (électrique, solaire, éolien) passe par une transformation profonde du modèle d’affaires. Tranquillement, les grandes entreprises énergétiques cèdent leur place à de petits producteurs. « La tendance est à la décentralisation », remarque cet ingénieur électrique expert en systèmes énergétiques.
Le modèle d’affaires tend à progresser. « Les barrières d’entrée [sur le marché énergétique] ont disparu. Vous pouvez devenir un acteur dans cette industrie, peu importe votre poids », ajoute-t-il. Parmi les trois défis qui se posent à l’industrie énergétique, Dr Frei a cité la décarbonisation, c’est-à-dire de se débarrasser des énergies émettrices de dioxyde de carbone (CO²), de s’investir d’une logique de marché créatrice d’innovations et de penser en fonction des enjeux de sécurité – soit de prévenir les risques éventuels d’une catastrophe liée aux changements climatiques ou de vol de données.
Québec privilégié
L’homme qui a fait d’un avenir durable sa priorité estime que le Québec est chanceux de pouvoir compter sur un approvisionnement en énergie à 98 % hydroélectrique. « Ici, au Québec, vous avez un privilège énorme du fait qu’il y a de l’énergie renouvelable en des quantités que tous les autres pays paieraient cher pour avoir. C’est un avantage, un point de départ incroyable, d’autant plus que l’électricité n’est pas trop chère. De plus, il y a de la recherche en stockage d’énergie, et il est clair qu’on peut le promouvoir. Ce n’est pas tous les pays qui ont ce privilège ».
À l’instar du Québec, Dr Christoph Frei soulève l’exemple de la Norvège où 100 000 voitures électriques se trouvent sur les routes, correspondant à 20 % du parc automobile. « Faisons les efforts avec une claire vision d’innovation. Il faut paver la voie, mais heureusement que la Norvège a l’argent pour le faire », commente-t-il. Quant aux autres sources d’énergies renouvelables, elles ne sont pas négligées, croit Dr Frei.
« Chaque année, d’une part, on a une croissance du volume [d’énergie] solaire de 50 % plus grand que l’année précédente. D’autre part, l’an passé, c’était la première année où dans l’électricité, l’investissement dans le renouvelable a été plus grand que dans toutes autres sources. L’industrie est clairement à maturité », conclut Dr Frei, bien qu’il convienne que la transition vers l’éolien est plus longue, les conditions du vent étant moins bien distribuées que celles du soleil.
Rappelons que le Conseil Mondial de l’Énergie est une organisation reconnue par les Nations Unies, dont le réseau représente plus de 3000 organisations publiques et privées, en plus de siéger sur une centaine de comités membres dans plus de 90 pays. Marie-José Nadeau, première femme à présider l’organisation, a présenté le conférencier, Dr Christoph Frei, comme l’une des rares personnes au monde ayant une perspective globale du secteur énergétique.