En prévoyant visiter Paris, la plupart des gens vont penser Tour Eiffel, Arc de Triomphe, Cathédrale Notre-Dame, musée du Louvre, La Joconde, etc. Il y a tellement plus à découvrir dans la Ville Lumière! Les gens intéressés par l’électricité ont avantage à connaitre le plus grand tableau du monde, la peinture La Fée Électricité, exposée à la salle Dufy du Musée d’Art Moderne de Paris, édifice jumeau du Palais de Tokyo, au nord de la Tour Eiffel et de la Seine.
L’artiste français a conçu et réalisé ce tableau pour l’exposition universelle de Paris de 1937, une commande de la Compagnie de distribution d’électricité de Paris, devenue plus tard EDF – Électricité de France. Le projet avait pour but de raconter l’histoire de l’électricité, à partir des découvertes d’Archimède et de Thalès de Milet, 600 ans avant Jésus Christ, jusqu’à l’exposition, en 1937. Il était l’œuvre et l’attraction principale du Palais de la lumière et de l’électricité de l’exposition. Son immensité a mené le Palais à présenter l’œuvre sur un mur concave; cette fresque mesure 10 mètres de hauteur, par 60 mètres de largeur, ce qui totalise 600 m² (environ 6 000 pi²). Elle est composé de 250 panneaux de contreplaqué de 1,2 m de largeur, par 2 m de hauteur chacun.
Dufy a nécessairement requis l’aide d’un groupe de personnes pour accomplir ce chef-d’œuvre, car il n’avait que 10 mois à sa disposition à compter de la commande par la Compagnie de distribution d’électricité jusqu’à l’ouverture de l’exposition, le 25 mai 1937. Pour bien illustrer la puissance de l’électricité, on avait placé devant La Fée électricité un disjoncteur de 500 000 volts, le record jusqu’à ce jour. Plus de 30 millions de personnes ont visité cette exposition, un exploit pour l’époque, compte tenu des moyens de transport, de la population de la terre qui était d’à peine deux milliards d’habitants et du fait que les gens voyageaient peu sur de longues distances à ce moment-là.
L’œuvre est remarquable pour de nombreuses raisons. Bien sûr, son format impressionne. Mais bien plus, son contenu et ses techniques de fabrication sont hors du commun. Dufy a beaucoup voyagé pour effectuer les recherches lui permettant de bien raconter l’histoire de l’électricité; d’ailleurs, son tableau compte plus de 110 personnages impliqués dans les premières observations sur l’existence de l’électricité réalisées par Thalès de Milet dans l’Antiquité, puis les chercheurs et expérimentateurs, fournissant les informations aux développeurs, puis finalement aux inventeurs de tous ces appareils qui meublent le quotidien des gens de l’époque. L’équipe de Dufy, en particulier son frère Jean, accumule aussi des montagnes d’information que l’artiste gobe rapidement afin de produire le portrait le plus juste possible de cette merveille qu’est l’électricité.
Du côté technique, l’œuvre de Dufy marque une évolution considérable de son art. Chose certaine, il était impensable de réaliser pareille illustration sur une toile ou sur un mur d’une seule pièce; il fallait penser créativement et imaginer une œuvre réalisée par sections, d’où le concept de 250 panneaux. Le contreplaqué venait à peine d’être inventé et on connaissait peu la durée de vie possible de ce nouveau matériau. De toute façon, le tableau était conçu pour vivre pendant les six mois de l’exposition universelle seulement. Mais le succès grand public remporté par La Fée électricité a fait en sorte que la Compagnie de distribution de l’électricité a plutôt choisi de démonter minutieusement l’œuvre et de la donner à la Ville de Paris afin que celle-ci en assure la vie à long terme. Heureusement, le contreplaqué s’avère un matériau de très grande durabilité, ce qui nous permet de bénéficier encore aujourd’hui du travail de Dufy.
Toujours du côté technique, les jeux de lumière par la couleur dans ce tableau sont tout simplement époustouflants. L’artiste a su, par la couleur, départager les différentes époques qu’il a représentées. Aussi, la lumière, la clarté et la brillance font ressortir les éléments les plus importants de l’histoire de l’électricité, tout en permettant au peintre d’exprimer sa spontanéité, malgré la multitude d’éléments qu’il avait à illustrer suite à ses recherches. Ainsi, la réalisation des premières centrales hydroélectriques est-elle bien en évidence à la fois par sa localisation en plein milieu du tableau, dans le tournant central de l’ellipse que forme aujourd’hui le tableau au Musée d’Art Moderne de Paris, mais surtout par sa luminosité et considérant la technique utilisée : les panneaux de contreplaqué ont d’abord été peints complètement en blanc, puis une couche de bleu a été appliquée une fois le fond blanc bien séché. Alors que le bleu venait à peine d’être étalé, Dufy a gratté ce bleu pour ne laisser paraitre que des lignes blanches révélant les formes qu’il voulait faire ressortir. Cette portion du tableau, entre autres, projette la clarté et la luminosité habituellement propre à l’aquarelle.
Contrairement aux habitudes occidentales de présenter un tableau évolutif en partant de la gauche, allant vers la droite, Dufy a préféré présenter l’histoire de l’électricité en partant de la droite, allant vers la gauche. Ceci permettait donc aux visiteurs de l’exposition habitués à entreprendre le visionnement d’un tableau par la gauche de voir en premier l’état du moment de l’évolution de cette énergie et de remonter le temps jusqu’à l’observation du phénomène de l’électricité statique de l’ambre par Thalès de Milet il y a 2 500 ans.
Un tableau qui vaut vraiment le déplacement. Une œuvre qui, à l’approche de ses 100 ans d’existence, donne l’impression d’avoir été réalisée tout récemment tellement sa présentation se veut actuelle; une œuvre intemporelle en fait. Sa forme ne permet cependant pas de la présenter en une seule photo.
ndlr :
- L’auteur de cet article en a publié un en juillet 1969, au lendemain du débarquement du premier homme sur la lune, exposant son admiration pour pareil accomplissement humain, mais qu’en même temps nous devons reconnaitre que l’exploit avait un faible effet sur l’évolution du monde comparativement à la découverte et au développement de l’électricité.
- Les photos, pour la plupart, proviennent du site internet du Musée d’Art Moderne de Paris. D’autres proviennent d’internet et certaines autres sont l’œuvre de l’auteur.
Que serait notre monde aujourd’hui sans l’électricité… Et laissons la photographie nous présenter davantage le tableau de Dufy.