La chute mortelle de 43 mètres d’un monteur de ligne qui travaillait sur un chantier d’Hydro-Québec, en mars dernier, s’explique par une méthode de travail et une formation déficientes, conclut le rapport d’enquête de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), dévoilé en novembre. Daniel Carré, monteur de ligne d’expérience œuvrant pour le sous-traitant GLR, a perdu pied du haut d’un pylône électrique 455 lors de travaux de construction de la nouvelle ligne à 735 kV de la Chamouchouane-Bout-de-l’Île.
La CNESST a retenu trois causes pour expliquer l’accident attribuable à une série de circonstances. D’abord, le travailleur aurait mis le pied sur une membrure de métal attachée temporairement par de la broche sur un simple boulon, d’un seul côté, alors qu’il s’apprêtait à traverser de l’autre côté du pylône électrique. Ensuite, il aurait probablement mis la main sur son coulisseau, qui tenait sur la corde de sécurité, désengageant ainsi le mécanisme de blocage. Enfin, la corde d’assurance verticale de 5,74 mètres n’était pas conforme puisqu’elle n’avait pas de dispositif de fin de corde, mesure de sécurité de dernier recours en cas de chute.
L’accident s’est produit aux limites de Terrebonne et Mascouche, au sud du chemin des Quarante-Arpents.
Âgé de 51 ans, M. Carré était marié et père de deux enfants. Il demeurait à Saint-Siméon, dans Charlevoix, port de départ et d’arrivée sur le Saint-Laurent du traversier de Rivière-du-Loup.
Circonstances
La veille de l’accident, des rafales de vent avaient empêché la levée de la tête du pylône et les travaux avaient été reportés au lendemain. Il avait neigé au cours de la nuit, mais la structure n’était pas glacée. Les cordes de vie verticales et horizontales de même que les ponts de corde avaient été installés l’avant-veille.
Le jour de l’accident, M. Carré était monté dans la structure en forme de K avec trois de ses collègues pour procéder à la mise en place et au raccordement de la tête du pylône 455. Auparavant, l’équipe de monteurs avait vérifié son équipement de protection contre les chutes, et chacun avait complété son calepin d’analyse sécuritaire de tâches avant de grimper.
En voulant réaligner la tête de la structure, M. Carré a dû utiliser une nouvelle corde sur laquelle il transfère son coulisseau, il détache sa longe de positionnement et s’engage sur la membrure précaire. Son collègue l’aurait averti à deux reprises de ne pas se déplacer sur la membrure fixée simplement par de la broche. Daniel Carré aurait répondu qu’il ne pouvait pas aller plus loin que son coulisseau. La broche a cédé, le travailleur a perdu l’équilibre, puis chuté.
Le coulisseau a glissé sur la corde d’assurance jusqu’à s’en séparer en l’absence d’épissure renversée (nœud de fin de corde). En chutant, il heurte à deux reprises la structure du pylône avant de s’affaisser au sol.
Chantiers paralysés
À la suite de cette tragédie, la CNESST a demandé l’arrêt de tous les chantiers d’Hydro-Québec requérant des travaux de montage de pylônes et d’ascension. Depuis, elle exige des employeurs qui mènent ces travaux en hauteur l’utilisation de coulisseaux anti panique et de cordes ayant une épissure renversée. D’ailleurs, ces cordes ne sont désormais plus coupées et préparées sur le chantier, mais par une entreprise externe afin qu’elles soient conformes avant d’être livrées aux chantiers.
Notons que le coulisseau utilisé par Daniel Carré comportait un avis du fabricant stipulant que le fait de toucher au dispositif expose le travailleur au danger de chute. « En situation de panique, le premier réflexe est de serrer quelque chose, et c’est le coulisseau qu’il avait en main. En serrant, il aurait neutralisé la fonction de blocage », a expliqué Michel Labbé, inspecteur responsable de l’enquête.
Les travaux ont été autorisés à reprendre une dizaine de jours plus tard, après que la CNESST eut exigé de GLR et Hydro-Québec qu’ils révisent les méthodes de travail et de protection des chutes.
Solutions proposées
Pour éviter un tel accident, l’employeur doit s’assurer que le système de protection contre les chutes est conforme et respecte les instructions du fabricant, précise la CNESST. Il doit être composé d’un harnais relié à un système d’ancrage à l’aide d’une liaison antichute.
Si le travailleur ne peut se maintenir en place sans cette liaison, l’employeur doit s’assurer qu’il utilise en plus un moyen de positionnement qui lui laisse les mains libres. Le moyen utilisé doit être stable et sûr, de manière à éviter de solliciter le système d’arrêt de chute.
Il reste toutefois encore du travail à faire – et des discussions ont été entamées à cet égard entre le service d’expertise de la CNESST et Hydro-Québec, qui planche sur des recommandations – pour éliminer l’utilisation des ponts de corde servant aux déplacements latéraux.
Pas d’amende
Pour l’instant, aucune amende n’a été décernée ni à GLR ni à Hydro-Québec. « Le dossier est toujours à l’étude par notre bureau du contentieux », a répondu à Électricité Plus René Beaumont, directeur en santé et sécurité de la CNESST dans la région de Lanaudière. Il a toutefois précisé que cette amende pourrait varier entre 16 700 $ et 67 000 $.
Pour la suite, la CNESST demandera donc à Hydro-Québec de préciser les méthodes de travail sécuritaires lors des déplacements latéraux dans les pylônes où l’accessibilité est réduite afin de ne plus dépendre des ponts de corde, instables et dangereux. Aux fins de sensibilisation, le rapport d’enquête sera diffusé dans les établissements de formation offrant le programme Montage de lignes électriques.
Les chutes en hauteur sont un fléau trop souvent à l’origine d’un décès chez les travailleurs, tous secteurs confondus. En cinq ans, de 2013 à 2017, la CNESST a répertorié 17 décès à la suite d’une chute en hauteur. Les chutes sont l’une des principales causes de décès des suites d’un accident du travail, après les accidents de la route. Pour la même période, 4 225 travailleurs ont subi une blessure à la suite d’une chute en hauteur – soit en moyenne 845 blessés par année.
Pour consulter le rapport d’enquête complet, cliquer ici.