Surprise générale le mercredi 17 avril, tout juste avant l’ouverture du salon MCEE : Pierre-Karl Péladeau (PKP) nommé à la tête d’Hydro-Québec. Personne, mais alors PERSONNE, n’aurait pu imaginer un tel scénario. Tout au plus était-ce une grande surprise lorsque M. Péladeau a quitté ses fonctions de président et chef de la direction de Québecor à la mi-mars ; plusieurs ont cru qu’il allait consacrer plus de temps à sa famille. Cette nomination à la tête d’Hydro-Québec ne laisse à peu près personne indifférent.
La question entendue un peu partout est : Qu’est-ce qu’un homme de son calibre fait dans un poste comme celui-ci, lui qui refuse le pôvre petit 125 000$ de salaire annuel attribué à ce poste? Qu’est-ce qu’il a à gagner? Qu’est-ce qui se cache derrière son implication? Mme Marois a mentionné que M. Péladeau avait manifesté son intérêt de «servir» l’État québécois.
Plusieurs, surtout parmi les syndiqués, craignent « la scie à chaine » de M. Péladeau, lui qui s’est montré intraitable lors des conflits au Journal de Québec et au Journal de Montréal. Cette même « scie à chaine » plait à d’autres québécois qui croient qu’Hydro-Québec pourrait doubler ses profits sans augmenter ses tarifs et sans vendre une « cenne » de plus d’électricité, simplement « en coupant dans le gras ».
Chez les employés d’Hydro-Québec, c’est l’inquiétude. Un cadre intermédiaire, qui requiert l’anonymat, mentionne sa crainte que M. Péladeau plonge rapidement dans la gestion quotidienne, qu’il fasse de la micro-gestion. Cette personne craint de voir des coupures de personnel qui verront partir d’excellentes compétences, un peu comme il s’est produit dans le secteur de la santé, il y a une quinzaine d’années. En plus de l’appréhension de voir disparaitre les bonis et de voir les hausses de salaire ralenties. Ce serait peut-être une excellente nouvelle pour l’entreprise privée de voir arriver cette compétence chez elle.
Du côté politique, les gens de la CAQ approuvent pleinement cette nomination, eux qui prétendent qu’Hydro-Québec a 4 000 employés de trop. Pour leur part, les libéraux émettent certaines réserves, mentionnant que le gouvernement devra imposer des balises pour prévenir tout conflit d’intérêts possible. Quant à Québec Solidaire, le parti dénonce cette nomination, prétendant la trop grande proximité entre l’homme d’affaires et le gouvernement. Du côté péquiste, cette nomination semble être un coup de maitre, tout à fait bienvenu après leur nombre impressionnant de faux départs et de reculs sur des décisions annoncées.
Dans le monde journalistique, les réactions sont vives (pour être bien polis…) Francis Vailles, dans La Presse, écrit :
Visiblement, quelque chose cloche. Avec cette nomination, comment les médias de Québecor pourront-ils prétendre à l’indépendance journalistique vis-à-vis d’Hydro-Québec? Et inversement, ne doit-on pas craindre que Le Journal de Montréal et TVA bénéficient de tuyaux de celui qu’on appelle PKP sur la gestion d’Hydro?
Dans le journal Le Devoir, Michel David écrit :
…le quatrième pouvoir, celui des médias, n’a pas à se mêler de la gestion des affaires publiques. En invitant M. Péladeau à présider le C.A. d’Hydro-Québec, la première ministre s’est faite complice d’une dangereuse « berlusconisation » de l’État. Et Michel David ironise en ajoutant : Jeudi (le 18 avril), le titre du Journal de Montréal qui coiffait l’article annonçant sa nomination était on ne peut plus éloquent : PKP au service de l’État. Très touchant. Mieux encore, il n’acceptera aucune rémunération. C’est incontestablement le bénévole de l’année !
De son côté, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), ne prend pas de détour, surtout que son estime pour Hydro-Québec l’avait conduite, en 2009, à lui décerner le Prix de la Noirceur 2009, « qui s’est battue bec et ongles pour éviter que sa filiale Hydro-Québec International soit assujettie à la Loi sur l’accès à l’information ». Dans la Lettre info FPJQ du 18 avril 2013, il est mentionné :
La FPJQ ne doute pas des compétences de M. Péladeau pour occuper ses futures fonctions à Hydro-Québec. Mais elle estime que la première ministre du Québec, Mme Pauline Marois, aurait dû chercher ailleurs que dans les rangs des patrons de presse pour combler ce poste au sein de l’une des sociétés d’État les plus en vue au Québec. S’il avait fallu que l’ex premier ministre, M. Jean Charest, nomme Paul Desmarais Jr à la tête d’Hydro-Québec, le monde journalistique aurait été tout aussi inquiet, et à raison. La FPJQ rajoute : Un patron de presse ne peut pas être des deux côtés en même temps. La FPJQ croit non seulement à l’indépendance des médias par rapport à l’État mais aussi à l’apparence d’indépendance. Cette nomination jette malheureusement une ombre sur cette valeur fondamentale.
Les opinions du public aussi sont partagées. Voici deux commentaires placés en ligne sur La Presse.ca, à la suite de l’article de Francis Vailles PKP et la muraille de Chine, publié de 18 avril :
1. jcpomerleau
18 avril 2013
21h57
La différence entre Paul Desmarais et P K Péladeau. Un avait planté ses pions sur le CA d’Hydro Québec pour se servir ; et, l’autre vient à visage découvert pour servir les intérêts supérieurs du Québec.
2. cliver
18 avril 2013
09h12
Encore une fois, Mme Marois fait preuve de manque de jugement. La nomination de M. Péladeau est un cas patent de conflit d’intérêts.
Peut-être faut-il voir un peu plus loin que la gestion quotidienne dans cet intérêt de M. Péladeau de servir l’État québécois. C’est bien connu que M. Péladeau et Power Corporation, propriétaire de La Presse par l’une de ses filiales, ne sont pas précisément de grands amis. Comme on disait dans le temps : ils ne gardent pas les troupeaux ensemble! Or le grand patron de Power Corporation, la famille Desmarais, et la compagnie Pétrolia, sont connus comme étant une seule et même famille d’affaires.
Pétrolia a acquis les droits d’exploration et d’exploitation pétrolière et gazière de l’Île Anticosti. Les réserves de pétrole de l’île sont estimées quelque part entre 30 et 50 milliards de barils. En considérant le juste milieu, 40 milliards de barils, à 100$ le baril, on atteint le chiffre faramineux de 4 000 milliards $, soit 16 fois la dette publique du Québec ! Si la province avait une redevance de 6 à 7% du prix de vente du pétrole, au prix d’aujourd’hui, ça éliminerait entièrement la dette publique.
Cette dette publique coute un peu plus de huit milliards de dollars par année, soit la troisième dépense en importance du gouvernement; sans compter qu’il n’y a alors pas un seul cent de remboursé sur la dette elle-même. Tout au plus, Hydro-Québec pourra peut-être récupérer un peu de ses investissements dans la recherche d’énergie fossile. Lors d’une réunion des actionnaires de Pétrolia, en février 2011, son président, André Proulx, déclarait :
«On a acheté (les droits pétroliers). On a payé ce qu’on avait à payer. Ça nous appartient à nous autres», a-t-il dit aux journalistes. «Laissez-nous donc trouver du pétrole, après ça vous commencerez à compter combien il va rentrer dans chacune des poches des Québécois.» Selon lui, «une société commerciale n’a pas à participer à des débats de nature politique». André Proulx rajoute : «Nous avons vu à obtenir le maximum pour nos actionnaires. Hydro-Québec a certainement fait la même chose pour son seul actionnaire, le gouvernement», a-t-il dit à l’assemblée.
Radio-Canada rapportait, le 13 mars 2013 : Le président de Pétrolia, André Proulx, confirme qu’Hydro-Québec possède une garantie de 10 millions de dollars sur la valeur des permis que la société rimouskoise détient sur l’île d’Anticosti. Or, Le Devoir révélait en février 2011 qu’Hydro-Québec a investi 9,8 millions de dollars en travaux d’exploration pétrolière sur l’île de 2002 à 2007.
Les remarques les plus dures sur Paul Desmarais, sur Power Corporation et sur Pétrolia paraissent dans le livre Desmarais – La dépossession tranquille, écrit par l’ex-ministre Richard Le Hir, publié en mars 2012, aux éditions Michel Brûlé. Il dit entre autres :
Paul Desmarais n’est pas un entrepreneur. C’est un prédateur, un loup qui a compris qu’il est beaucoup plus facile de convaincre le berger de lui ouvrir toutes grandes les portes de la bergerie que de chercher continuellement à déjouer sa surveillance. Son modèle d’affaires présente toutefois une faille majeure, il repose essentiellement sur l’opposition systématique entre ses intérêts et l’intérêt collectif, ce qui en fait un archétype du capitalisme des plus détestables.
En résumé, Richard Le Hir prétend surtout que Paul Desmarais et les entreprises qu’il contrôle veulent la privatisation d’Hydro-Québec et qu’ils en seraient les premiers acheteurs potentiels. Les gens qui ont des cheveux blancs se rappelleront que l’essentiel du pouvoir et de la fortune de Paul Desmarais proviennent de… la nationalisation de l’électricité en 1963 !
Or Richard Le Hir a une feuille de route impressionnante. Avocat et linguiste, il est aussi administrateur, étant identifié aux milieux patronaux, ayant été président-directeur-général de l’Association des manufacturiers québécois, en plus d’avoir été ministre délégué à la restructuration au gouvernement du Québec au milieu des années ’90. L’éditeur et M. Le Hir n’ont pas été poursuivis en justice pour avoir écrit ce livre dévastateur pour la réputation de Paul Desmarais Sr.
Chose curieuse, en parlant de la nomination de M. Péladeau avec des gens du milieu de l’électricité, on réalise que peu d’entre eux appuient ouvertement la décision de l’équipe Marois. C’est un poussant la discussion un peu plus loin avec les gens d’affaires et le monde de l’administration qu’on peut d’abord déceler, puis constater, l’approbation des gens de décision envers le fougueux grand patron du groupe Québecor. Plusieurs de ces personnes croient qu’auparavant c’était La Presse qui était avantagée par ses liens avec Hydro-Québec, en catimini, alors que ce pourrait désormais être un jeu plus ouvert, en faveur de Québecor. À voir, à surveiller.
En interviewant les gens de décision, une catégorie de gens habituellement très bien informée mais peu bavarde, on se rend compte que rarissimes sont les personnes qui savaient que le président du C.A. d’Hydro-Québec est M. Michael L. Turcotte, qui a passé toute sa vie active à la Banque Royale du Canada, où il a atteint le poste de vice-président et directeur général pour le Québec. La principale grande différence entre les deux hommes est donc que la présidence passe d’un administrateur employé à un entrepreneur. Ces deux visions démontrent en principe de très grandes différences.
Là où les dessous de la nomination de Pierre-Karl Péladeau commencent peut-être à s’élucider, c’est lorsqu’on constate que l’entente entre Pétrolia et Hydro-Québec, ne peut être rendue publique sans la permission des deux parties. La ministre des ressources naturelles, Martine Ouellet, voudrait bien faire la lumière sur la controversée cession de 35 permis d’exploration sur l’île d’Anticosti qui appartenaient, jusqu’en 2008, à la société d’État. Mais Pétrolia refuse que l’entente soit divulguée, et c’est son droit. Une petite question bête et méchante, pour ne pas dire assassine, est de savoir pourquoi la haute direction d’Hydro-Québec a accepté une telle clause. L’arrivée de M. Péladeau pourrait les obliger a y répondre.
Le gouvernement du Québec et les dirigeants d’Hydro-Québec ont accès à cette entente, mais personne d’autre. Suite à son entrée en fonction, à la mi-mai, Pierre-Karl Péladeau y aura droit. On peut soupçonner que le futur président du CA d’Hydro-Québec trouvera bien le moyen de délier certaines langues. À tout le moins, il sera en bonne position pour recommander au gouvernement des stratagèmes pour lui permettre de prendre sa part du gâteau. Chose certaine, la muraille de Chine dont parle le PQ semble plutôt exister entre Pierre-Karl Péladeau et le groupe Desmarais.
Si Richard Le Hir a raison de prétendre que Paul Desmarais veut mettre la main sur Hydro-Québec, la présence de Pierre-Karl Péladeau à la tête de la société d’état devrait rendre ce projet un peu moins possible. Les risques de collusion entre PKP et Paul Desmarais sont plutôt minces. Le véritable risque est que les québécois en apprennent plus long sur l’entente Pétrolia-Hydro-Québec et qu’ils tirent vraiment profit de ces richesses naturelles que sont l’électricité et le pétrole.