Aucune organisation n’est à l’abri de poursuites judiciaires si elle a commis un agissement contraire au Code criminel ou omis d’assurer la santé et la sécurité de ses travailleurs. L’actualité judiciaire nous l’a démontré récemment avec le verdict historique, tombé en septembre, rendant la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) coupable d’une infraction pénale pour avoir contrevenu au Code du travail dans le cas du décès de trois policiers lors de la fusillade à Moncton en 2014.
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La responsabilité criminelle des organisations et ses nouvelles dispositions intégrées au Code criminel depuis 2004 à la suite de l’adoption de la Loi C-21 sont méconnues, croit Me Marianne Routhier-Caron, avocate en droit du travail, qui, depuis un an, anime des conférences sur ce sujet auprès de travailleurs et de cadres d’entreprises. Ces changements au Code criminel visent à faciliter les poursuites contre des organisations pour négligence criminelle en matière de santé et sécurité du travail.
Bien que les peines demeurent plus sévères dans les autres provinces qu’au Québec, Me Routhier-Caron estime toutefois que « la loi québécoise a davantage de dispositions favorables aux victimes et de mécanismes pour faciliter la démonstration de la responsabilité d’une entreprise ». Il y aurait ainsi plus de déclarations de culpabilité des organisations au Québec qu’au niveau canadien, où les amendes sont cependant plus salées.
(Pour consulter les modifications au Code criminel en ce qui a trait à la responsabilité des organisations, cliquer ici.)
Québec c. Colombie-Britannique
À titre d’exemple, une entreprise de Colombie-Britannique a plaidé coupable d’avoir omis d’assurer la sécurité d’un travailleur décédé sur un bateau, qui a été coincé puis étouffé par une pièce de machinerie en 2011. Cette accusation lui a valu une amende de 140 000 $.
En revanche, au Québec, les amendes imposées aux entreprises varient habituellement entre 15 000 $ et 20 000 $. « En matière de responsabilité pénale des organisations, au Québec, il n’y a pas d’emprisonnement possible. Pour une personne physique qui a commis une première infraction, l’amende maximale est de 3 000 $, peu importe la gravité du geste ou de l’omission », note Marianne Routhier-Caron.
Par ailleurs, la Loi sur la santé et la sécurité du travail prévoit, pour toute personne qui agit, par action ou omission, de manière à compromettre directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l’intégrité physique d’un travailleur, une amende maximale de 12 000 $ pour une personne physique lors d’une récidive.
Dans le cas d’une personne morale (une organisation), l’amende minimale pour une première infraction est de 15 000 $ à 60 000 $, et peut aller jusqu’à 300 000 $ en cas de récidive additionnelle. « Personnellement, je n’ai jamais vu cela », commente Me Routhier-Caron.
(Pour consulter la Loi sur la santé et la sécurité du travail, cliquer ici.)
Le tribunal au Québec a toutefois une grande liberté de sanction, note l’avocate. Il peut en outre exiger de l’entreprise la mise en place de normes ou de règles plus strictes en matière de santé et sécurité du travail, l’obliger à rendre compte de la mise en œuvre de celles-ci ainsi qu’à informer le public de l’infraction, ce qui a pour conséquence d’affecter sa réputation.
« L’imposition de la peine est à la discrétion du tribunal, qui peut faire preuve d’une grande imagination », glisse Me Routhier-Caron.
Condamnations en électricité
La juriste a été en mesure de fournir, pour les besoins de la cause, trois exemples de dossiers dans le secteur de l’électricité où des accusations en matière de responsabilité criminelle des organisations ont mené à des condamnations et des amendes, somme toute très peu élevées.
En 2010, une entreprise en construction a demandé à son électricien d’exécuter des travaux d’appareillage électrique sous une tension de 347 V. Le travailleur qui devait déplacer un des fils électriques reliés à la boite de jonction a été électrocuté. Son contremaitre ne lui avait transmis aucune consigne de sécurité, mais il lui avait indiqué que les travaux devaient s’exécuter sous tension, car le panneau électrique d’alimentation était introuvable.
Aucune procédure de cadenassage n’avait été mise en place, et les employés n’avaient jamais reçu de formation à cet égard. D’autre part, il aurait fallu prendre le temps de trouver la boite électrique et fermer le courant. L’organisation a été condamnée à une amende de 10 000 $. (Pour lire le jugement, cliquer ici.)
Dans un autre dossier, une situation « anodine » a mené à la condamnation d’une entreprise en électricité à payer 7 000 $. En 2007, un électricien avait entrepris de remplacer une fixture au plafond de la cuisinette de l’entreprise pour laquelle il travaillait. Seul l’interrupteur avait éteint le courant, sans qu’aucune procédure de cadenassage n’ait été effectuée. Dans l’intervalle, le propriétaire a fait irruption dans la pièce et a actionné l’interrupteur, causant l’électrisation de son employé.
Bien qu’il s’agisse d’un bête accident, le juge a pris en considération les circonstances aggravantes, soit le fait que l’entreprise est spécialisée dans le domaine de l’infraction et les conséquences sur la victime. (Pour voir le jugement, cliquer ici.)
Enfin, en 2009, une entreprise en construction a plaidé coupable dans le dossier d’un travailleur décédé par électrocution en touchant des fils électriques sous tension lors de travaux de démolition. Le menuisier, non qualifié pour effectuer ces travaux, avait ainsi entrepris de démonter le système d’éclairage fluorescent, et il y a eu un contact entre un fil conducteur sous tension de 347 V et une paire de pinces tenue par le travailleur. La charge électrique, qui est passée par le cœur, a été fatale.
D’une part, les travaux ont été effectués sous tension et en l’absence de cadenassage du disjoncteur; d’autre part la supervision des travailleurs était déficiente, ce qui a couté à l’entreprise 13 000 $. (Pour obtenir le jugement, cliquer ici.)
« La loi devrait être plus utilisée, estime Me Marianne Routhier-Caron. Il n’y a pas de jurisprudence très importante dans les dossiers de responsabilité criminelle des organisations. Notre régime est assez intéressant, et offre une bonne prévention. Des cas médiatisés comme celui de la GRC permettent de mieux faire connaître l’existence de ces dispositions, bien qu’il est rare qu’une entité gouvernementale soit visée. »
Son rôle de conférencière consiste à sensibiliser les travailleurs à l’existence de cette loi, mais également à leur faire comprendre que ce n’est pas uniquement l’entreprise qui peut être visée par des accusations de négligence criminelle, que les travailleurs aussi doivent se soumettre à la Loi sur la santé et la sécurité.