Les écofrais imposés aux consommateurs lors de l’achat de produits électroniques neufs, de piles et d’ampoules au mercure pour financer leur récupération et leur recyclage semblent peu efficaces puisque 60 % des batteries et 90 % des ampoules finissent toujours à la poubelle.
Les consommateurs québécois ont payé plus de 16,4 M$ d’écofrais en 2017* et plus de 153 M$ depuis leur instauration en 2012 pour financer des programmes de recyclage par l’entremise de l’Association pour le recyclage des produits électroniques. Ces frais de récupération de quelques sous à quelques dollars imposés lors de l’achat de produits électroniques neufs doivent financer leur récupération et leur recyclage (ou revalorisation). Les résultats ne sont cependant pas au rendez-vous. Malgré un financement respectif de 7 M$ et 4,7 M$, les programmes RecycFluo, qui vise les produits d’éclairage, et Appel à recycler, qui cible les piles et batteries, enregistrent des taux de récupération en deçà des attentes.
Faible taux de récupération
Les piles, batteries, ampoules au mercure et autres ordinateurs et appareils électroniques peinent à être récupérés adéquatement, comme tous les produits dont le recyclage est sous la responsabilité élargie des producteurs (REP), soit ceux dont la gestion en fin de vie est confiée aux entreprises qui mettent ces produits sur le marché.
Le meilleur taux de récupération appartient aux piles à usage unique et rechargeables et ne dépasse pas 40 % en 2018. Un taux qui stagne depuis trois ans. Dans le bilan 2015 de Recyc-Québec, le seul publié à ce jour, le taux de récupération des piles à usage unique est de 36 % tandis que celui des piles rechargeables atteint 40 %. Ce taux de récupération correspond à la quantité récupérée durant l’année sur la quantité mise en marché au cours d’une année de référence – dans ce cas-ci, 2014.
Au Canada, c’est 2,7 millions de kilogrammes de piles domestiques qui ont été recueillis en 2018, selon Appel à recycler. Une augmentation de 3 % en un an. Mince consolation, le Québec est la province où se il se récupère le plus de piles et de batteries, soit près de 1,2 million de kg en 2018, 15 % de plus qu’en 2017. « Le taux d’efficacité du recyclage – soit la quantité de matières valorisées – est bien plus importante, et varie entre 50 % et 90 % », ajoute toutefois Line Bérubé.
Les lampes au mercure sur la sellette
La pire performance revient aux lampes fluocompactes, dont le taux de récupération atteint un famélique 9 %, malgré une hausse de 2 % entre 2015 et 2017. En fait, toute la catégorie des tubes fluorescents, lampes fluocompactes et lampes au mercure accuse en important retard sur les objectifs de récupération. RecycFluo espérait pour 2015 recueillir 30 % des lampes fluocompactes (LFC) vendues au Québec. Trois ans plus tard, moins de 10 % de ces articles sont récupérés. Dans le cas des tubes fluorescents, l’objectif était d’en récupérer la moitié en 2017. Dans les faits, seulement 41 % ont été récoltés, en hausse de 6 % par rapport à 2015. Quant aux autres lampes au mercure, leur récupération plafonne à 30 % depuis deux ans, alors qu’elle devrait être de 50 %.
Catherine Turcotte, directrice du programme québécois RecycFluo, rapporte tout de même une progression constante en termes d’unités récupérées. En 2015, 3,3 millions de lampes contenant du mercure ont été déposées dans l’un des 833 points de dépôt situé chez des détaillants ou dans des quincailleries ou des écocentres. Chiffre qui a grimpé à 3,9 millions d’unités en 2016 et à 4 millions en 2017. Et le bilan 2018, attendu en mai, devrait indiquer une nouvelle hausse.
« Pour les tubes fluorescents, on se dirige vers un taux de récupération de 44 % contre 37 % pour les lampes à décharge à haute intensité (DHI) et autres lampes au mercure. Les LFC demeurent toutefois à 9 % », détaille‑t‑elle. Les LFC sont de petites ampoules semblables au format des lampes incandescentes, souvent en tirebouchons, qui se trouvent principalement dans les résidences. Et le plus souvent, elles terminent à la poubelle. « Parfois, les gens pensent faire une bonne affaire en les mettant au bac à recyclage, mais elles éclatent. »
(Pour plus de détails sur le recyclage et la revalorisation des piles et des ampoules, lire notre article Des casseroles et bâtons de golf fabriqués à partir de vieilles piles.)
Recyclage de produits électroniques
Pour ce qui est du recyclage d’appareils électroniques, le programme financé par les écofrais est géré par l’Association pour le recyclage de produits électroniques (ARPE), au cout de 1189 $ par tonne recyclée.
La transformation des appareils recyclés a accaparé 10,9 M$ du budget en 2017, la plus grande part des dépenses après le transport, l’entreposage et le stockage (4,4 M$) et les communications auprès des consommateurs (3,5 M$). Le réemploi de produits électroniques est toutefois marginal puisqu’il touche seulement 1983 des 20 213 tonnes recueillies.
Problème de méconnaissance?
Le problème de RecycFluo serait son manque de visibilité. Seulement la moitié de la population connaît son existence, selon un sondage mené par le programme en 2018. « En 2019, nous changeons notre stratégie. Nos campagnes de promotion iront davantage vers les médias sociaux, nous ferons de la sensibilisation à la radio et nous allons bénéficier d’une parution dans le guide spécial 100 bons trucs pour la planète et le portefeuille du magazine Protégez-vous. »
Parce que les faibles taux de récupération coutent cher. L’Association pour la gestion responsable des produits (AGPR), une association d’industries à but non lucratif qui gère le programme RecycFluo, devrait payer au Fonds vert du Québec des pénalités évaluées à 1,2 M$ pour les années 2015 à 2017. Les sommes ne sont cependant pas exigées avant cinq ans.
« Nous voulons faire changer la règlementation concernant les pénalités pour qu’elles soient autres que monétaires, explique Catherine Turcotte. Le Québec est la seule province avec un tel système de pénalités. Ces sommes ont été mises de côté, mais pourraient servir à des campagnes de promotion pour mieux informer la population sur le programme. »
Un amendement à la règlementation a d’ailleurs été déposé au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques pour transformer ce système de pénalité et intégrer de nouveaux produits au programme de récupération. Cet amendement ajouterait notamment des écofrais à l’achat d’électroménagers, comme les réfrigérateurs, cuisinières, lave-vaisselles, celliers, climatiseurs ou thermopompes, dès 2020.
Des programmes qui manquent de dents
Malgré la menace de pénalités, les gestionnaires de programmes peinent à atteindre les objectifs de recyclage. Et le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques semble prêt à faire à diminuer ses attentes et à reporter l’atteinte des objectifs. « En principe, le Règlement [sur la récupération et la valorisation de produits par les entreprises] demande une augmentation du taux de récupération de 5 % par année. Mais plus on avance, plus chaque gain devient difficile », note Line Bérubé, directrice d’Appel à recycler pour l’Est du Canada. En 2015, le taux minimal de récupération était de 25 % pour les piles rechargeables et de 20 % pour les piles non rechargeables. Il devait donc grimper à 40 % en 2018, ce qui est le cas. Par contre, il piétine à ce niveau depuis trois ans.
Ces taux de récupération sont faibles, en comparaison de ceux des huiles (76,6 %), de leurs contenants (77 %), des écrans d’ordinateur et téléviseurs (62 %), des ordinateurs de bureau (51 %) et des systèmes audio-vidéo (50 %), indiquent les statistiques de 2015. Les peintures sont même récupérées dans une proportion de 130,3 %. Un taux qui dépasse 100 % en raison de certaines hypothèses de calcul basées sur les quantités disponibles à la récupération ainsi que la durée de vie des peintures.
Selon les objectifs du programme, 65 % des piles seront recyclées en 2023. « Éventuellement, des pénalités [versées au Fonds vert] pourraient s’appliquer si les objectifs ne sont pas atteints », glisse Mme Bérubé. Un « crédit » pour compenser les quantités manquantes pour atteindre le taux de récupération prescrit peut toutefois être utilisé pour les années 2015 à 2019, précise le guide d’application du Règlement.
Devant le retard à respecter les taux de récupération prévus initialement, la porte-parole de l’ARPE, Jacinthe Guy, mentionne que le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a publié un projet d’amendement qui reporte à 2020 l’application des taux de récupération et les pénalités applicables en cas de non-respect.
Le Ministère explique que l’évaluation des cibles de récupération prescrites par le Règlement est faite à partir de la cinquième année suivant celle durant laquelle les cibles s’appliquent. Ainsi, l’atteinte des cibles établies pour 2015 sera évaluée en 2020 et si des pénalités doivent être versées, elles ne le seront qu’en 2021. « Vous comprendrez qu’il est donc trop tôt pour parler de l’atteinte des cibles par RecycFluo et Appel à recycler », indique par courriel le porte-parole du Ministère en précisant que les entreprises peuvent profiter de ces cinq ans pour rattraper leur retard dans l’atteinte de leurs objectifs.
Des fonds en réserve
En attendant, les programmes engrangent les écofrais. L’ARPE enregistre un surplus accumulé de près de 50 M$ depuis 2012, même après trois années déficitaires. Ces surplus serviront éventuellement à payer des pénalités au Fonds vert.
« Cette réserve pour éventualités est constituée afin d’accumuler les fonds pour assurer le fonctionnement d’un programme stable dans des conditions économiques variables. Il est normal, en début de programme, que cette réserve soit plus élevée, puisque les revenus (écofrais perçus) excèdent souvent les dépenses jusqu’à ce que les habitudes de recyclage des produits électroniques soient bien ancrées au sein de la population québécoise », explique Jacinthe Guy, de l’ARPE.
La structure actuelle des écofrais ne couvrant pas les coûts annuels du programme, poursuit-elle, l’ARPE-Québec planifie enregistrer des déficits au cours des prochaines années et puiser dans la réserve, comme elle le fait depuis 2016.
*Revenus de l’Association pour le recyclage des produits électroniques (ARPE), section Québec. Les statistiques de 2018 n’ont pas encore été publiées.