L’électricité a couté la vie à deux travailleurs qui n’étaient pas électriciens en 2018. L’un est décédé en utilisant un camion à flèche articulée sous des fils électriques, alors que l’autre s’est éteint après avoir été électrocuté en nettoyant le plancher derrière le four d’un appartement de résidence pour aînés. Les deux travailleurs n’ont eu aucune chance de survivre au choc.
À deux jours d’intervalle, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a dévoilé les conclusions de deux enquêtes entourant la mort des travailleurs Louis Ouellet, livreur de matériaux de 58 ans, et d’Alfonso Huaman Herrera, préposé à l’entretien ménager de 59 ans, dans des circonstances complètement différentes.
Ces deux décès s’ajoutent à deux autres cas d’électrocution mortelle et à deux morts causées par un manquement à la procédure de cadenassage diffusés au cours des 15 derniers mois. Il y a lieu de s’inquiéter du manque de formation des travailleurs non électriciens à l’égard des mesures de sécurité à prendre lorsqu’ils sont confrontés aux dangers de l’électricité.
Sous les fils électriques
Louis Ouellet, livreur de matériaux pour Les Ateliers de Rénovation R.P., est décédé le 18 juillet dernier sur un chantier résidentiel à La Rédemption, dans le Bas-St-Laurent, entre Mont-Joli et Amqui. En arrivant sur place, il a placé son camion à flèche articulée sous une ligne électrique de trois fils (trois phases de 24,9 kV) située en façade de la résidence, à environ 7,7 mètres. « Dans les faits, le mât de la grue était trop proche et ne respectait pas la distance minimale d’approche de trois mètres », peut-on lire dans le rapport d’enquête.
Le mât du camion-grue a soulevé deux palettes de bardeaux d’asphalte vers le toit avant qu’un arc électrique se produise à la hauteur du stabilisateur arrière droit, puis qu’un début d’incendie se déclare sur le camion. L’opérateur qui était positionné au sol utilisait une télécommande avec contrôle portatif léger pour diriger le bras articulé. Il a voulu éteindre le moteur, malgré les avertissements d’un travailleur du maître d’œuvre du chantier, Rénovation Johnny Pineault, le prévenant de ne pas toucher au camion qui était « groundé ».
Le livreur a tout de même couru vers la cabine et, en approchant un bras et une jambe, il a été projeté au sol. Le décès de M. Ouellet a été constaté à l’hôpital.
La CNESST a retenu deux causes à cet accident. D’abord, les manœuvres de déchargement à partir du camion à flèche articulée se sont faites directement sous les lignes électriques sous tension. Ensuite, la supervision par l’employeur et la formation générale de l’opérateur étaient insuffisantes.
Pour prévenir un tel accident, l’employeur doit s’assurer que les distances minimales d’approche sont respectées. À défaut de pouvoir se conformer au règlement, il faut communiquer avec l’entreprise d’exploitation d’énergie électrique – ici Hydro-Québec – pour convenir de mesures de sécurité. Advenant un contact avec une ligne électrique aérienne, il ne faut pas intervenir tant qu’une équipe d’Hydro-Québec n’a pas sécurisé les lieux.
Aucune amende n’a encore été décernée, le dossier étant toujours à l’étude par les services juridiques de la CNESST. Les deux infractions possibles exposent l’employeur et le maître-d’œuvre à des amendes variant de 1 680 $ à 3 360 $ ou de 16 800 $ à 67 200 $.
(Pour accéder au rapport d’enquête de cet accident, cliquer ici)
Cuisinière à 120 V sous tension
Dans l’accident où Alfonso Huaman Herrera a trouvé la mort, la CNESST conclut que l’électrocution était attribuable à l’inversion de deux conducteurs dans le boitier de la prise murale d’une cuisinière. L’appareil a alors été soumise à une tension de 120 V.
Le préposé à l’entretien ménager est décédé le 28 mai dernier en nettoyant un appartement nouvellement construit dans un des immeubles de la résidence Au Fil de l’Eau, à Montréal. En voulant laver le plancher derrière la cuisinière, M. Huaman s’est appuyé sur la porte métallique du lave-vaisselle et, en touchant l’arrière du châssis en métal de la cuisinière, il a reçu une décharge électrique.
La CNESST a mandaté Nadeau Ultra Tech pour analyser les branchements électriques de la cuisinière et du lave-vaisselle afin de déterminer la cause du décès. L’entrepreneur électricien a conclut que l’inversion du conducteur de la mise à la terre et d’un des conducteurs sous tension dans la prise électrique murale a rendu le châssis de la cuisinière sous tension.
L’expertise d’un maitre-électricien démontre que « le conducteur sous tension (noir) était raccordé à la borne portant l’inscription GREEN VERT où devrait être raccordé le conducteur de continuité des masses (le conducteur nu). Ce dernier est raccordé sur la borne portant l’inscription Y où devrait être raccordé le conducteur sous tension (noir) », faisant de cette inversion la cause première de cet accident, est-il noté dans le rapport.
La CNESST cible une seconde cause, soit le contact simultané du travailleur avec le châssis de la cuisinière et celui du lave-vaisselle. « Un courant électrique d’une tension de 120 volts a traversé le corps du travailleur, provoquant son électrocution », mentionne le rapport.
Le rapport évoque aussi des manquements lors des travaux d’électricité réalisés par Les Entreprises F. Coutu Électrique. « L’inversion du conducteur de la mise à la terre et du conducteur sous tension démontre qu’une erreur est commise lors du branchement de cette prise. L’inversion révèle aussi l’absence d’une vérification du bon fonctionnement de la prise par [le travailleur] qui a réalisé ce travail », indique-t-on dans l’analyse des causes.
Aucune amende n’a encore été décernée dans ce dossier.
Les conclusions de l’enquête seront transmises à la Corporation des maitres électriciens afin qu’elle rappelle à ses membres la nécessité de vérifier, lors du raccordement d’une prise électrique, que le conducteur de continuité des masses est connecté à l’endroit prévu par le fabricant de la prise. Les établissements offrant la formation en électricité recevront également une copie du rapport d’enquête.
(Pour obtenir ce rapport d’enquête, cliquer ici)
Sur la photo d’introduction, on aperçoit la résidence Au Fil de l’Eau, où le drame s’est produit.