Les électriciens qui travaillent souvent dans de vieux immeubles où l’amiante était jadis utilisé comme isolant thermique, acoustique et électrique sont particulièrement à risque de développer une maladie associée à ce contaminant qui peut prendre 25 à 30 ans avant de se manifester.
Le mésothéliome, un cancer causé par l’amiante, a fait 960 victimes au Québec entre 2010 et 2016, selon l’Institut national de santé publique. Des chiffres inquiétants. Pourtant, les travailleurs attendent toujours la révision des valeurs d’exposition admissibles de plusieurs contaminants, dont l’amiante.
Le métier de briqueteur, qui implique des contacts fréquents avec l’amiante, est l’un de ceux qui ne sont pas adéquatement considérés dans la règlementation québécoise, selon les travailleurs.
Bien sûr, ces derniers sont couverts par les trois lois québécoises touchant la sécurité au travail et les normes de la construction, mais pour Gilles Mercier, président de l’Association des victimes de l’amiante (AVAQ) et lui-même briqueteur, ce n’est pas suffisant, il faut vite moderniser la règlementation gouvernementale à propos de l’amiante.
M. Mercier était indigné en décembre 2018 en voyant le projet de nouvelle règlementation de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). «Quand on a constaté que le projet ne prenait pas sérieusement en compte l’amiante, c’était un mystère pour moi; on s’est demandé si des pressions provenant du milieu patronal et entrepreneurial pouvaient y être pour quelque chose.»
Retraité depuis 2016, Gilles Mercier a été inspecteur à la CNESST. Il connait bien la lourde machine administrative qui fait obstacle à la reconnaissance de cette maladie insidieuse qui a emporté son père, ferblantier retraité de la Ville de Saguenay, quatre mois après qu’il eut reçu le diagnostic de cancer de la plèvre touchant les poumons.
À propos des normes
«Notre mémoire déposé à la CNESST dénonce le fait que la norme (limite maximale permise) d’exposition à l’amiante est 10 fois – et parfois même 100 fois – plus élevée au Québec que dans d’autres pays industrialisés, allant contre les recommandations de l’Organisation internationale du travail», s’insurge Gilles Mercier.
Les travailleurs comme lui ont trouvé en l’Institut national de santé public du Québec (INSPQ) un allié de taille qui est en même temps très dérangeant pour le patronat et les lobbys de l’amiante. Depuis 2003, l’Institut a fait des appels répétés au gouvernement pour rendre cette norme plus restrictive, à l’instar de nombreuses autres institutions.
La Dre Louise Soulière, vice-présidente de l’INSPQ a déclaré à Radio-Canada en 2018: «On pense que la résistance du gouvernement québécois à rabaisser la norme vient des propriétaires des haldes (résidus des mines d’amiante) qui veulent en tirer profit. C’est certain que quand on resserre les normes, ça coute plus cher en équipement de protection.»
Du côté canadien, le gouvernement exige depuis 2017 l’usage d’un vêtement de protection dès que la concentration d’amiante atteint 0,1 fibre par centimètre cube, une norme qui est aussi recommandée par l’INSPQ depuis 2003. Or, la norme québécoise est dix fois plus élevée, soit 1 fibre par centimètre cube! Rappelons aussi que le Canada a adopté en 2018 un règlement interdisant l’utilisation, la vente, l’importation et l’exportation d’amiante et de produits qui en contiennent.
Manque de transparence
Dans l’attente d’une nouvelle règlementation, l’organisme Righton Canada évoque une omerta sur l’accès à l’information dans un dossier (L’amiante et le Québec: la trahison continue) publié en 2018. Le texte affirme que presque 3000 travailleurs québécois ont été diagnostiqués du mésothéliome entre 1992 et 2012, selon des données de 2015 de Statistique Canada. Des chiffres qui ne tiennent pas compte de tous les cas ni de plusieurs autres cancers causés par l’amiante. «Le gouvernement semble vouloir faire disparaître ces données. Les statistiques présentées (dans le graphique inséré dans l’article) ont été obtenues avant que les données pour le Québec après 2010 aient disparu.»
De fait, le Québec n’informe plus Statistique Canada sur les nouveaux cas de mésothéliome et en conséquence les données depuis 2010 excluent le Québec. Au Canada (moins le Québec), les nouveaux cas de mésothéliome sont passés de 390 à 475 entre 2010 et 2015, ce qui représente 2570 personnes supplémentaires avec un diagnostic de mésothéliome.
Des lois qui ignorent la science
Selon le Vérificateur général, une autre situation nécessite une modernisation par voie règlementaire: malgré l’évolution des connaissances médicales, aucune nouvelle maladie professionnelle n’a été ajoutée à la LATMP de 1985.
En 2003, l’INSPQ) a reçu le mandat d’implanter un système de surveillance des expositions à l’amiante et des maladies qui en découlent. Depuis, plusieurs rapports ont été publiés sur ces sujets.
L’INSPQ explique que si l’amiantose est devenue moins sévère cliniquement et qu’elle cause donc moins de décès, il reste que la forte létalité du mésothéliome fait que le nombre de décès par ce cancer pourrait égaler le nombre de nouveaux cas. Le document fait un ajout inquiétant: «C’est possiblement la façon d’enregistrer les décès qui conduirait à une sous-estimation de leur nombre.»
En 2016, l’Association sectorielle paritaire Construction a publié le Guide de prévention de l’amiante, mais bien sûr, ce document n’a pas force de loi. Ce fardeau pèse encore sur les épaules de la CNESST et du gouvernement du Québec.
Faire la preuveLa Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) accorde une présomption pour les cas de maladie pulmonaire, incluant les diagnostics d’amiantose, de cancer pulmonaire ou de mésothéliome causé par l’amiante. Le travailleur qui contracte une maladie incluse dans l’annexe I de la LATMP doit seulement démontrer avoir exécuté un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante. Dès lors, il sera présumé atteint d’une lésion professionnelle sans avoir à fournir de preuve supplémentaire à l’appui de sa réclamation. Les réclamations pour maladies professionnelles pulmonaires sont transmises à un comité externe qui doit déterminer le diagnostic, les limitations fonctionnelles, le pourcentage d’atteinte permanente et la tolérance du travailleur à un contaminant. Le rapport de ce comité est ensuite soumis au Comité spécial des présidents qui infirme ou confirme le diagnostic. |
Lire la suite de notre dossier: La CNESST accusée de se trainer les pieds dans le dossier de l’amiante et Des lobbys actifs et puissants.