Les lumières qui scintillent sur la structure du pont Jacques-Cartier à Montréal depuis le 17 mai ne s’allument pas de façon aléatoire. L’œuvre Connexions vivantes de Moment Factory a été réalisée en collaboration avec six studios montréalais de multimédias et d’éclairage, mais également avec l’apport du professeur Sylvain Rocheleau, spécialisé en communication et en informatique cognitive à l’Université de Sherbrooke.
Électricité Plus s’est entretenu avec le Pr Rocheleau, qui a présenté le projet lors de la conférence Le Big Data et l’illumination du pont Jacques-Cartier, première conférence de la série Les midis-numériques de l’UdeS, en octobre. Fait intéressant : il s’agit du premier pont connecté au monde régi par une programmation intelligente influencée par les saisons, la circulation, la météo et… les réseaux sociaux.
« J’étais en fin de doctorat, et j’avais démarré un groupe de recherche sur la circulation de l’information quand j’ai entendu parler du projet par un ami qui travaille à la firme Réalisations, l’un des partenaires du projet d’illumination du pont. J’avais conçu un outil pour analyser les nouvelles partout au Canada, qui était alors à l’étape de rodage », explique-t-il.
Le concept : à l’aide d’algorithmes préprogrammés, des robots informatiques sillonnent le Web à la recherche de nouvelles d’actualité. L’outil, qui analyse les fils RSS aux 15 minutes, parcourt 1800 sites médiatiques, incluant les blogues d’information. Cet été, Sylvain Rocheleau a même rajouté une cinquantaine de sites aux fins d’analyse de mégadonnées (Big Data).
Aux couleurs de l’actualité
Œuvrant au croisement du domaine des communications et de l’informatique, le professeur Rocheleau a ainsi développé à l’aide de l’intelligence artificielle un outil pouvant détecter le mot « Montréal » dans tous les articles publiés sur le Web au Canada. Chaque thème abordé donne une couleur prédéterminée au pont :
- L’environnement, en vert;
- La technologique, en turquoise;
- Les affaires, en jaune;
- Les sports, en bleu;
- Les institutions (religion, politique et justice), en rose;
- La société (santé, éducation et art de vivre), en rouge;
- Les arts, en mauve.
« Lorsque les articles bénéficient d’un traitement médiatique positif, les lumières blanches s’animent vers le haut et si le traitement est négatif, elles se dirigent vers le bas, décrit-il. Les algorithmes des robots distinguent 17 catégories, qui se regroupent en sept couleurs. » Les catégories qui se sont démarquées cet automne : le sport et la politique, conséquence fort probable des récentes élections municipales. Quotidiennement, Sylvain Rocheleau a recensé 1000 articles concernant le sport et 915 articles à saveur politique sur 15 000 articles au Canada et 6000 articles au Québec.
Dans l’année, deux millions de tweets (entrées sur Twitter) et 3,2 millions d’articles médiatiques ont été analysés, rapporte le Pr Rocheleau. Les robots informatiques de l’outil assurent le traitement automatique des langues, des mots-clés et des entités sémantiques, par exemple le nom des équipes et des joueurs de hockey, qui peuvent être vérifiés par l’encyclopédie en ligne Wikipédia.
L’impact de la lumière
Pour une conférence sur un sujet aussi « geek », Sylvain Rocheleau s’est montré surpris de l’intérêt que les étudiants et citoyens ont porté à sa présentation. Il estime la foule à 60-70 personnes s’étant déplacée à l’agora du Carrefour de l’information. « L’objectif de l’œuvre Connexions vivantes est de créer quelque chose de beau à partir de la lumière, quelque chose qui ait un impact diffus sur l’indice du bonheur, résume-t-il. Le rôle de l’art est de faire réfléchir et d’égayer les gens avec ce qui est plaisant à l’œil. »
Toutefois, le lien entre les couleurs et l’actualité reste abstrait pour les Montréalais qui croisent le pont Jacques-Cartier alors qu’ils sont coincés dans la circulation. Le professeur Rocheleau aimerait bien, dans un avenir prochain, mettre à nouveau son outil informatique au service de l’art médiatique. « Je voudrais tenter autre chose et créer une œuvre encore plus explicite à partir de l’information recueillie », confie celui qui restera à l’affût d’éventuelles collaborations artistiques.