D’Edith Clark, première américaine ingénieure électrique, à Katie Bouman, scientifique ayant mené des études en génie électrique à l’origine de la première photo d’un trou noir, les femmes ont peu à peu façonné leur place dans le domaine du génie, niche autrefois réservée aux hommes. Malgré tout, au Québec, on compte seulement une femme sur dix étudiants au baccalauréat en génie électrique.
La discipline du génie électrique, au premier cycle universitaire, détient la peu glorieuse palme de la plus faible représentation féminine, tous secteurs du génie confondus. Selon un récent rapport publié par la Chaire pour les femmes en sciences et génie au Québec, 11 % de femmes étaient inscrites en 2017-2018 en génie au baccalauréat électrique, contre 13 % en génie mécanique et 16 % en génie informatique.
Les femmes représentent moins de 30 % des étudiants dans six des 13 domaines du génie. Fait digne de mention, la représentation féminine en génie électrique a crû de seulement 1 % en dix ans, passant de 10 % en 2007-2008 à 11 % en 2017-2018. En comparaison, les inscriptions au baccalauréat dans les divers domaines du génie ont augmenté de 31 %, passant de 16 % à 21 %, sur la même période.
La situation des femmes en génie électrique s’améliore quelque peu à la maîtrise et au doctorat, où elles représentent respectivement 22 % et 20 % des étudiants.
«La sous-représentation des femmes en génie est complexe et multidimensionnelle. Elle se cultive depuis la petite enfance, à l’école, elle se véhicule dans les médias, par les jouets que l’on donne aux enfants, entre autres. Dès l’âge de six ans, la brillance est associée aux garçons, qu’on freine moins que les filles. Quand un garçon tombe, on l’élève à se relever et à continuer. Quand une fille tombe, on la console et on la cajole», explique Ève Langelier, titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec.
Même analyse du côté de la doctorante en génie électrique Audrey Corbeil-Therrien, interviewée dans la suite de ce dossier, qui croit que les filles sont confrontées à un double standard. «Si elles ont un beau bulletin, c’est qu’elles sont intelligentes, alors que si le garçon arrive avec le même bulletin, c’est qu’il a travaillé fort. On entraîne les garçons à travailler fort, à devenir meilleurs, mais on élève les filles à être parfaites. Quand elles échouent, elles perdent leur estime de soi, car elles croient qu’elles ne peuvent pas changer», lance-t-elle comme hypothèse.
Intéresser les jeunes filles
La science et la technologie sont désormais enseignées dès le primaire. «À ce niveau, ce sont souvent des femmes qui n’ont jamais fait de sciences naturelles qui enseignent. Elles ne sont pas outillées et elles vivent du stress à enseigner la technologie. Les filles à qui elles enseignent vont vivre cette anxiété, par projection. Dès le secondaire, les mathématiques sont associés aux garçons et le français, aux filles», ajoute Mme Langelier.
Pour sa collègue Catherine Mavriplis, titulaire de la Chaire du CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada) pour les femmes en sciences et en génie en Ontario, il faut initier plus tôt les jeunes filles aux domaines du génie par des activités ludiques et amusantes. «Avec le développement des technologies, ces activités sont aujourd’hui peu couteuses. Par exemple avec les imprimantes 3D. On peut ainsi montrer aux filles que le domaine n’est pas réservé aux hommes blancs en sarrau. En bas âge, elles sont très intéressées, mais dès la 5-6e année, elles se disent que les gars sont meilleurs», soulève-t-elle.
Pour stimuler leur intérêt envers les sciences et le génie, la Chaire ontarienne organise des activités qui associent l’art au génie. «On propose aux filles des ateliers de fabrication de bijoux, avec une artiste autochtone, dans lesquels on insère un circuit qui fait que des lumières s’allument. Il y a aussi un atelier avec des foulards, dans lequel on leur apprend à programmer une séquence de couleurs, à l’aide de capteurs, pour l’illuminer», cite en exemple Mme Mavriplis.
La Chaire québécoise a conçu pour sa part une trousse didactique pour initier les élèves de 5-6e année aux sciences et technologies en intégrant le français. «Un auteur a composé une histoire dans laquelle des amis doivent surmonter des obstacles à l’aide des technologies», décrit Ève Langelier. La trousse permet ainsi de mieux comprendre le travail d’ingénieur.
D’autres activités, comme Les filles et les sciences et le Festival Eurêka!, servent à démystifier cette discipline auprès des filles et à les familiariser avec le métier d’ingénieur et ses emplois connexes. En génie électrique, un nouvel atelier conçu par la Chaire québécoise connaît un bon succès. L’atelier d’électronique LittleBits propose de jouer avec des interrupteurs, lumières, boutons et moteurs pour faire des montages électriques et intégrer la conception de prototypes.
Des stéréotypes tenaces
Catherine Mavriplis, qui a mené des études en génie mécanique à l’Université McGill avant de décrocher une maitrise et un doctorat en aéronautique et astronautique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), souligne que les stéréotypes sont tenaces envers les femmes en génie.
Or, dans les faits, ces finissantes se trouvent plus vite un emploi que leur vis-à-vis masculin: en 50 jours en moyenne plutôt qu’en 100 jours. «Cependant, elles sont moins bien payées et éprouvent moins de satisfaction au travail. On peut s’interroger à savoir si on leur offre un travail qui est moins intéressant ou si ce sont les préjugés auxquels elles font face qui font qu’elles sont moins satisfaites.»
Pour améliorer cette satisfaction au travail, des employeurs – comme GE, IBM ou Pratt & Whitney – déploient certains efforts, en offrant à leurs employées de faire une rotation dans trois ou quatre types d’emplois pour les aider à cibler ce qui les intéresse, mentionne-t-elle.
Selon Ève Langelier, au Québec, les femmes affichent plutôt un bon taux de satisfaction au travail. «Les stages fonctionnent très bien, les finissants en génie sont très en demande présentement, et beaucoup d’entreprises cherchent à augmenter la diversité dans les milieux de travail, rapporte-t-elle, quoiqu’embaucher une femme qui voudra bientôt avoir des enfants constitue encore un frein pour les employeurs, même si cette pratique est illégale.»
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