La présence de lithium dans le sol québécois est connue depuis fort longtemps. Bien que ce ne soit qu’en 1923 que la production commerciale de lithium commença en 1923 par la firme allemande Metallgesellschaft AG, devenue GEA Group AG, c’est au cours des années 1950 que le gisement de La Corne, entre Val-d’Or et Amos, a été exploité. Le nombre restreint de domaines utilisant le lithium à l’époque a forcé la fermeture de la mine peu de temps après. Ce métal mou est considéré comme étant le plus léger des métaux connus ; on l’utilise désormais dans de nombreux domaines, de la médecine psychiatrique à la fabrication de piles et de batteries, en passant par la physique nucléaire.
La course pour la filière batterie, particulièrement la fabrication d’anodes et de cathodes, prend toute son ampleur au Québec. L’ontarienne Northern Graphite, qui exploite la mine de lithium Lace-des-Îles dans la région de Mont-Laurier, désire elle aussi construire une usine d’anodes, à Baie Comeau, sur la Côte-Nord. Elle possède également un site prospectif en Ontario et une mine de graphite en Namibie. L’entreprise croit pouvoir produire 200 000 tonnes de matériau d’anode par année. Pour y arriver, elle demande l’aide des gouvernements du Québec et de l’Ontario. Puisque la Côte-Nord est plus près du Pôle-Nord que le Centre du Québec, peut-être la minière rencontrera-t-elle le Père Noël… On parle ici encore de milliards de dollars.
Nemaska Lithium
Il y a maintenant plus de sept ans qu’il est question de Nemaska Lithium dans nos pages. Son échec financier de 2019-2020, suivi par le rachat du projet par l’américaine Livent et le gouvernement du Québec (via Investissement Québec), a gobé les économies de nombreux petits investisseurs. La mise en service de la mine de Whabouchi est prévue pour 2025. Elle pourrait produire plus de 200 000 tonnes par année de concentré de spodumène pendant 26 ans.
Quant à son usine présentement en construction à Bécancour, son expertise viendra renforcer la filière batterie québécoise et enrichir la nouvelle zone d’innovation Vallée de la transition énergétique, qui regroupe les villes de Shawinigan, de Trois-Rivières et de Bécancour. Elle entamera ses activités en 2026, et environ 520 personnes seront embauchées pour la phase d’exploitation à la transformation du minerai en hydroxyde de lithium pour batteries, laquelle sera alimentée par le complexe Whabuchi, dans le Nord-du-Québec.
Le gouvernement du Québec a autorisé Investissement Québec à investir un montant additionnel de 250 millions de dollars dans le capital-actions de Nemaska Lithium. Cette somme, déboursée au gré des levées de financement à venir, sera combinée aux contributions de Livent Corporation (NYSE:LTHM), coactionnaire de Nemaska Lithium à 50 %. Les fonds permettront à l’entreprise de poursuivre son projet visant à construire et à mettre en service sa mine et un concentrateur de spodumène, le complexe Whabouchi. La transformation du concentré de spodumène générerait, croit-on, 27 500 tonnes d’hydroxyde de lithium et 3 245 tonnes de carbonate de lithium de qualité batterie par année.
Ce projet en développement est la pierre angulaire de la filière batteries du gouvernement du Québec. Il s’en sert pour attirer des multinationales comme BASF, General Motors/Posco Chemical, même Ford qui laisse entrevoir qu’elle pourrait aussi s’installer à Bécancour. Ford et Nemaska Lithium ont annoncé récemment un accord à long terme pour l’approvisionnement en produits de lithium, notamment 13 000 tonnes d’hydroxyde de lithium annuellement, sur une période de onze ans, soit près de la moitié de sa production à partir de la mine de Whabouchi. Évidemment, puisque les États-Unis offrent du soutien financier très important aux industries liées à l’électromobilité, il faudra que les gouvernements québécois et canadien mettent la main dans la poche des contribuables pour que le projet d’une usine passe de rêve à construction. Sinon, les 13 000 tonnes d’hydroxyde de lithium prendront simplement la route des États-Unis, ou jusqu’à ce que le gouvernement américain décide d’imposer une autre taxe à l’importation qui rendrait cette vente non rentable.
La Stratégie de mise en valeur du Saint-Laurent touristique du Parti Québécois a plutôt amené le gouvernement du Québec à s’orienter dans la direction de la vision du premier ministre François Legault. Celui-ci a publié un livre en 2013, Cap sur un Québec gagnant-gagnant – Le Projet Saint-Laurent par lequel il explique les moyens qu’il entend prendre pour que le Québec rattrape économiquement le reste du Canada. Lorsqu’il a pris le pouvoir, cinq ans plus tard, son idée passait de rêve à projet. Le Parc Industriel et Portuaire de Bécancour, créé il y a une soixantaine d’années, compte quelque 325 millions de pieds carrés; c’est là le coeur de la filière batterie. Surtout, le port est existant et les autoroutes facilitent l’accès à la région, donc les astres sont alignés pour que le Québec devienne un centre de matière première et de matière traitée pour la construction de batteries pour véhicules électriques.
Nouveau Monde Graphite
De son côté, la mine de Saint-Michel-des-Saints aurait, semble-t-il des réserves de plus de 60 millions de tonnes de minerai à une teneur moyenne de 4,23% Cg et aurait une durée de vie évaluée à 25 ans. Les travaux préparatoires à la construction ont débuté en 2021.
Pour ce qui est de sa propriété du lac Guéret, sur la Côte-Nord, la production ciblée est de 500 000 tonnes de concentré de graphite par an, ce qui en ferait le plus gros projet minier de graphite au monde. Ce projet pourrait voir le jour aux environs de 2030. Le projet nommé Uatnan a une Valeur Actuelle Nette (VAN) indicative de 2 173M$ et aurait une durée de vie de 24 ans. La propriété couvre 74 claims, soit environ 400 km².
Le projet minier Uatnan est situé près du réservoir Manicouagan d’Hydro-Québec. Les chemins forestiers entre la projet minier et la route 389 font moins de 100 kilomètres et les camions transportant le minerai pourraient la rejoindre un peu au sud du barrage hydroélectrique Daniel-Johnson (Manic 5). Les chemins forestiers sont de classe 1, c’est-à-dire entre 8 et 10 mètres de large (entre 26 et 33 pieds). La compagnie minière n’aurait donc que ce tronçon de moins de 100 kilomètres à développer davantage et gageons que le gouvernement du Québec en assumerait les couts. À moins qu’on choisisse de faire confiance au train (électrique…) en construisant aussi une voie ferrée.
Quant à la route 389, elle fait un peu plus de 200 kilomètres entre Baie Comeau et le barrage Daniel-Johnson et il faut être un peu casse-cou pour franchir cette distance en moins de trois heures. Selon le groupe média Urbania, cette route compterait plus de 400 courbes; c’est sans compter les collines, les côtes et les vallons qui éliminent le gout d’aller au parc d’amusement La Ronde! Il faut l’avoir parcourue pour le croire et être dépourvu d’étourdissements et de maux de coeur…
À elle seule, la minière Nouveau Monde Graphite pourrait éliminer le besoin de faire appel aux minéraux en provenance de Chine, pays qui tente d’obtenir le contrôle de la production mondiale de lithium. Puisque les compagnies minières sont en presque totalité en bourse, la Chine pourrait y parvenir. Voilà l’une des raisons obscures des gouvernements d’intervenir financièrement dans le domaine.
Très connue du monde québécois de l’électricité pour avoir été présidente de Thomas & Betts Canada et d’ABB au Canada, ainsi que membre du conseil de direction d’ABB pour les Amériques, Nathalie Pilon siège au Conseil d’administration de Nouveau Monde Graphite. Elle a également été directrice principale, Pratique professionnelle chez KPMG et a reçu un doctorat honorifique de l’Université Concordia pour son innovation en affaires. Elle est titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires de HÉC Montréal et est Fellow de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (FCPA). Elle est également membre du conseil d’administration de HÉC Montréal, du Groupe CSA et de l’Administration portuaire de Montréal. Nathalie Pilon a aussi été nommée l’une des 100 femmes les plus puissantes au Canada par le Women’s Executive Network
Lithium Amérique du Nord (LAN)
Sayona a annoncé récemment une étude technique préliminaire positive sur le carbonate (étude préliminaire) pour son projet phare Complexe Lithium Amérique du Nord (LAN) en Abitibi, confirmant les avantages de passer à un traitement en aval. LAN est une filiale de Sayona Québec, détenue par l’Australienne Sayona (75%) et Piedmont Lithium (ASX:PLL, 25%).
Les points saillants de l’étude comprennent une estimation de la VAN avant impôt (taux d’actualisation de 8 %) pour l’usine de carbonate de 3,2 milliards de dollars australiens (3,52 milliards canadiens), avec un taux de rentabilité interne (TRI) avant impôt de 60 %. Le bénéfice total avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA) sur la durée de vie de 16 ans de l’usine de carbonate s’élève à 7,5 milliards de dollars australiens – 8,25 milliards canadiens (taux de change : 1 dollar canadien = 1,10 dollar australien, à la fin-juin 2023).
La mine de La Corne est présentement en exploitation et prévoit produire quelque 175 000 tonnes de concentré de spodumène. L’un des actionnaires, Piedmont, a convenu d’acheter 65% de cette production, soit 113 000 tonnes par année, qu’elle revend à des constructeurs automobiles et des fabricants de cellules de batteries
En conclusion
Bien que ce soit en électromobilité qu’on identifie le plus de besoins de lithium, la multitude de domaines l’utilisant est une forme de garantie que ce métal assurera au Québec une source d’emplois bien rémunérés et de revenus des plus importantes.
Jusqu’à tout récemment, le Québec et le Canada n’étaient même pas considérés comme étant des joueurs importants dans le monde du lithium. Fait à noter, la production mondiale de lithium en 2021 était d’à peine 100 000 tonnes, alors que les projets étudiés dans le présent article pourraient produire annuellement à terme des millions de tonnes de lithium utilisé uniquement pour la fabrication d’anodes et de cathodes.
Le gouvernement québécois actuel est dans la danse de façon significative dans la foulée de sa volonté de créer des emplois payants pour ses citoyens. Investissement Québec possède Ressources Québec, elle-même propriétaire de SOQUEM, entreprise créée en 1965 par René Lévesque, ministre des richesses naturelles sous le gouvernement libéral de Jean Lesage. À l’époque, les mines du Québec étaient la propriété soit d’entreprises américaines ou de Toronto. Le slogan de l’élection provinciale de 1962, Maitres chez nous, prenait alors tout son sens, en plus de la nationalisation de onze compagnies privées d’électricité, au profit d’Hydro-Québec. La participation d’Investissement Québec dans Nemaska Lithium témoigne de la volonté du gouvernement que nos richesses naturelles nous appartiennent et soient traitées sur place.