Le volet Excelle Science du concours organisé par le gouvernement du Québec « Chapeau, les filles! » a désigné 66 lauréates dans le cadre de sa 25e édition. Le concours Chapeau, les filles! et son volet Excelle Science soulignent la volonté et le travail des femmes qui, inscrites à un programme de formation professionnelle ou technique ou au baccalauréat au Québec dans une discipline des sciences et des technologies, se dirigent vers l’exercice d’un métier traditionnellement masculin. Parmi les gagnantes, soulignons celles-ci liées au domaine de l’électricité, qui ont toutes remporté une bourse de 2 000 $ :
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Dossier Femmes en génieÀ peine 11 % de femmes étudient en génie électrique
D’Edith Clark, première américaine ingénieure électrique, à Katie Bouman, scientifique ayant mené des études en génie électrique à l’origine de la première photo d’un trou noir, les femmes ont peu à peu façonné leur place dans le domaine du génie, niche autrefois réservée aux hommes. Malgré tout, au Québec, on compte seulement une femme sur dix étudiants au baccalauréat en génie électrique.
La discipline du génie électrique, au premier cycle universitaire, détient la peu glorieuse palme de la plus faible représentation féminine, tous secteurs du génie confondus. Selon un récent rapport publié par la Chaire pour les femmes en sciences et génie au Québec, 11 % de femmes étaient inscrites en 2017-2018 en génie au baccalauréat électrique, contre 13 % en génie mécanique et 16 % en génie informatique.
Les femmes représentent moins de 30 % des étudiants dans six des 13 domaines du génie. Fait digne de mention, la représentation féminine en génie électrique a crû de seulement 1 % en dix ans, passant de 10 % en 2007-2008 à 11 % en 2017-2018. En comparaison, les inscriptions au baccalauréat dans les divers domaines du génie ont augmenté de 31 %, passant de 16 % à 21 %, sur la même période.
La situation des femmes en génie électrique s’améliore quelque peu à la maîtrise et au doctorat, où elles représentent respectivement 22 % et 20 % des étudiants.
«La sous-représentation des femmes en génie est complexe et multidimensionnelle. Elle se cultive depuis la petite enfance, à l’école, elle se véhicule dans les médias, par les jouets que l’on donne aux enfants, entre autres. Dès l’âge de six ans, la brillance est associée aux garçons, qu’on freine moins que les filles. Quand un garçon tombe, on l’élève à se relever et à continuer. Quand une fille tombe, on la console et on la cajole», explique Ève Langelier, titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec.
Même analyse du côté de la doctorante en génie électrique Audrey Corbeil-Therrien, interviewée dans la suite de ce dossier, qui croit que les filles sont confrontées à un double standard. «Si elles ont un beau bulletin, c’est qu’elles sont intelligentes, alors que si le garçon arrive avec le même bulletin, c’est qu’il a travaillé fort. On entraîne les garçons à travailler fort, à devenir meilleurs, mais on élève les filles à être parfaites. Quand elles échouent, elles perdent leur estime de soi, car elles croient qu’elles ne peuvent pas changer», lance-t-elle comme hypothèse.
Intéresser les jeunes filles
La science et la technologie sont désormais enseignées dès le primaire. «À ce niveau, ce sont souvent des femmes qui n’ont jamais fait de sciences naturelles qui enseignent. Elles ne sont pas outillées et elles vivent du stress à enseigner la technologie. Les filles à qui elles enseignent vont vivre cette anxiété, par projection. Dès le secondaire, les mathématiques sont associés aux garçons et le français, aux filles», ajoute Mme Langelier.
Pour sa collègue Catherine Mavriplis, titulaire de la Chaire du CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada) pour les femmes en sciences et en génie en Ontario, il faut initier plus tôt les jeunes filles aux domaines du génie par des activités ludiques et amusantes. «Avec le développement des technologies, ces activités sont aujourd’hui peu couteuses. Par exemple avec les imprimantes 3D. On peut ainsi montrer aux filles que le domaine n’est pas réservé aux hommes blancs en sarrau. En bas âge, elles sont très intéressées, mais dès la 5-6e année, elles se disent que les gars sont meilleurs», soulève-t-elle.
Pour stimuler leur intérêt envers les sciences et le génie, la Chaire ontarienne organise des activités qui associent l’art au génie. «On propose aux filles des ateliers de fabrication de bijoux, avec une artiste autochtone, dans lesquels on insère un circuit qui fait que des lumières s’allument. Il y a aussi un atelier avec des foulards, dans lequel on leur apprend à programmer une séquence de couleurs, à l’aide de capteurs, pour l’illuminer», cite en exemple Mme Mavriplis.
La Chaire québécoise a conçu pour sa part une trousse didactique pour initier les élèves de 5-6e année aux sciences et technologies en intégrant le français. «Un auteur a composé une histoire dans laquelle des amis doivent surmonter des obstacles à l’aide des technologies», décrit Ève Langelier. La trousse permet ainsi de mieux comprendre le travail d’ingénieur.
D’autres activités, comme Les filles et les sciences et le Festival Eurêka!, servent à démystifier cette discipline auprès des filles et à les familiariser avec le métier d’ingénieur et ses emplois connexes. En génie électrique, un nouvel atelier conçu par la Chaire québécoise connaît un bon succès. L’atelier d’électronique LittleBits propose de jouer avec des interrupteurs, lumières, boutons et moteurs pour faire des montages électriques et intégrer la conception de prototypes.
Des stéréotypes tenaces
Catherine Mavriplis, qui a mené des études en génie mécanique à l’Université McGill avant de décrocher une maitrise et un doctorat en aéronautique et astronautique du Massachusetts Institute of Technology (MIT), souligne que les stéréotypes sont tenaces envers les femmes en génie.
Or, dans les faits, ces finissantes se trouvent plus vite un emploi que leur vis-à-vis masculin: en 50 jours en moyenne plutôt qu’en 100 jours. «Cependant, elles sont moins bien payées et éprouvent moins de satisfaction au travail. On peut s’interroger à savoir si on leur offre un travail qui est moins intéressant ou si ce sont les préjugés auxquels elles font face qui font qu’elles sont moins satisfaites.»
Pour améliorer cette satisfaction au travail, des employeurs – comme GE, IBM ou Pratt & Whitney – déploient certains efforts, en offrant à leurs employées de faire une rotation dans trois ou quatre types d’emplois pour les aider à cibler ce qui les intéresse, mentionne-t-elle.
Selon Ève Langelier, au Québec, les femmes affichent plutôt un bon taux de satisfaction au travail. «Les stages fonctionnent très bien, les finissants en génie sont très en demande présentement, et beaucoup d’entreprises cherchent à augmenter la diversité dans les milieux de travail, rapporte-t-elle, quoiqu’embaucher une femme qui voudra bientôt avoir des enfants constitue encore un frein pour les employeurs, même si cette pratique est illégale.»
Lire Un système biaisé qui fait obstacle aux femmes et le témoignage d’une doctorante en génie électrique qui s’épanouit dans la Silicon Valley.
Dossier Femmes en génieUn système biaisé qui fait obstacle aux femmes
Outre les préjugés tenaces vis-à-vis des femmes en sciences, les diplômées en génie sont confrontées à un système bâti par les hommes qui leur laisse peu de place. Aperçu des obstacles auxquels elles font face.
Catherine Mavriplis dénonce un «système qui est biaisé» puisqu’il a été bâti par les hommes. «Une étude sur le leadership a démontré que les femmes préconisent un leadership transformationnel tandis que les hommes s’appuient sur un leadership hiérarchique, souligne-t-elle.
En réunion, une femme seule dans la salle ne voudra pas nécessairement se démarquer», souligne la titulaire de la CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada) pour les femmes en sciences et chercheuse en génie mécanique à l’Université d’Ottawa. La doctorante en génie électrique Audrey Corbeil-Therrien, dont le témoignage se trouve dans la suite de ce dossier, en convient: trop souvent les femmes se laissent interrompre en réunion. «Maintenant, j’observe pour m’assurer que tout le monde parle», souligne-t-elle.
Entre autres défis auxquels les femmes sont confrontées, Catherine Mavriplis cite en premier lieu les préjugés. «Il y a environ 10 % des hommes qui vont ressentir un inconfort à être entourés de femmes ingénieures. Et s’il y a plus de 15 % de femmes au bureau, ils vont se sentir menacés», lance-t-elle à la blague.
À l’inverse, certains vont tenter de profiter de leur statut de chercheur pour approcher une femme, notamment dans les congrès et les conférences scientifiques, soulève Mme Corbeil-Therrien. «Quand on est une femme, on a toujours à se poser la question: est-ce qu’il veut juste parler de recherche ou il est en train d’essayer de scorer, ce qui fait que beaucoup de femmes se trouvent à faire moins de liens pendant les conférences parce qu’on évite ces situations qui pourraient devenir compliquées», explique-t-elle.
Il y a également le congé de maternité qui joue en leur défaveur. «Le retour n’est pas toujours facile, elles peuvent avoir été mises de côté pour les projets les plus intéressants», glisse Mme Mavriplis, soulignant que certaines d’entre elles vont venir faire leur tour une fois par mois pour s’assurer que leur place les attend.
Enfin, il y a l’aspect de la communication et de la négociation qui crée un clivage entre les hommes et les femmes. «La Chaire organise des ateliers sur les méthodes de communication plus masculines. Il y a une période d’apprentissage pour les femmes qui font face à des attentes sociales, par exemple de ne pas se fâcher en réunion.»
La touche féminine
Catherine Mavriplis estime que les femmes ont une vision différente, et qu’elles peuvent apporter un éclairage particulier sur la façon dont génie peut servir les femmes, par exemple en améliorant les diagnostics de cancer du sein. «Les femmes sont en minorité notamment en intelligence artificielle où les équipes sont peu diversifiées. Par exemple, pour les robots en soins infirmiers, les chercheurs ont-ils pensé à tout?» réfléchit-elle tout haut.
Au passage, elle salue l’initiative du Collège Algonquin qui réserve désormais 30 % de ses admissions aux femmes, une première initiative du genre au Canada. Le projet-pilote «We Saved You a Seat», d’une durée de trois ans, vise à accroitre le nombre d’inscription dans les quatre programmes en technologies les plus populaires, dont technique de génie électrique et génie électromécanique. Au-delà d’une place dans le programme, l’établissement promet de les soutenir avec des bourses spécialement dédiées aux femmes et un accès à des mentors dans l’industrie et dans le milieu de l’éducation.
De son côté, Ève Langelier se réjouit de l’objectif d’Ingénieurs Canada qui, avec l’initiative 30 en 30, souhaite atteindre 30 % d’ingénieures nouvellement inscrites dans leur ordre professionnel partout au Canada, d’ici 2030. Au Québec, en date du 31 décembre 2017, elles étaient 17,2 %. Leur représentation a augmenté d’un faible 1,2 % entre 2014 et 2016.
Le génie pour aider la société
Catherine Mavriplis a participé en tant que conférencière au plus récent congrès de l’ACFAS qui avait lieu cette année à l’Université du Québec en Outaouais. Elle coanimait la conférence Cinq Engagées pour le génie au service des femmes: quel leadership hier, aujourd’hui et demain, sous le thème Le génie au service des femmes et de la société. Elle y présentait une étude pancanadienne auprès d’ingénieure et de futures ingénieures à laquelle elle participe depuis deux ans.
Ces femmes ont été sondées sur leur conception du génie et l’importance qu’elles accordent à la contribution des femmes dans ce secteur. Selon les résultats préliminaires obtenus, après plus de 70 entrevues, les femmes sont davantage portées vers les arts et les types de génie qui peuvent aider la société, comme les technologies vertes et relatives à l’environnement ou encore l’utilisation des moyens de transport. «Elles veulent contribuer à la société, régler les problèmes sociaux», soulève-t-elle.
Ève Langelier croit que c’est la société qui amène les femmes à vouloir aider la société. «Ce qu’elles ne savent pas, c’est que le génie a un impact positif sur la société, mais les filles aiment davantage la biologie et la chimie. Elles veulent travailler en équipe. Mais ce n’est pas vrai que l’ingénieur travaille seul dans son labo. Pour les initier au génie, nous les faisons collaborer, toucher, et non seulement prendre des notes. On leur enseigne que ce n’est pas grave de se tromper, qu’il faut simplement recommencer.»
Les emplois les plus difficiles à décrocher pour une femme, selon Mme Langelier, sont encore dans le milieu de la construction, mais également en enseignement – un créneau combiné à la recherche souvent réservé davantage aux hommes.
Lire À peine 11 % de femmes étudient en génie électrique et le témoignage d’une doctorante en génie électrique qui s’épanouit dans la Silicon Valley.