Les développeurs éoliens québécois ont largement participé à l’appel d’offres du Massachusetts, qui cherche à s’approvisionner de 2 000 MW d’énergie renouvelable d’ici 2020. En effet, sur 46 propositions soumises à l’état américain, l’éolien occupe 7000 MW; les projets déposés par des joueurs québécois de l’industrie éolienne ou par des entreprises ayant des activités au Québec totalisent 2 929 MW. De ce nombre, 1 902 MW pourraient bien être produits exclusivement au Québec. Au moment de mettre cet article en ligne, il était impossible de connaître la quantité qui pourrait être produite par l’énergie solaire. Pour la première fois de l’histoire, la filière éolienne pourrait exporter son énergie vers la Nouvelle-Angleterre et éventuellement vers l’état de New York. Sans compter les projets qui se préparent dans l’Ouest canadien.
Au lendemain de la clôture de l’appel d’offres, le 27 juillet, on savait qu’Hydro-Québec avait proposé six options au Massachusetts, dont trois scénarios incluant une combinaison d’hydroélectricité et d’énergie éolienne, en complicité avec ses partenaires Boralex et Gaz Métro. Pour la société d’État, il s’agit de la plus importante soumission de son histoire. Le projet SBx, quatrième phase d’agrandissement du parc éolien de la Seigneurie de Beaupré, leur permettrait d’exporter 300 MW d’énergie éolienne. Cet approvisionnement serait équilibré par le recours à l’hydroélectricité d’Hydro-Québec.
Notons que chacune des options d’Hydro-Québec s’inscrit dans trois projets de ligne de transport distincts qui comportent deux variantes d’approvisionnement en énergie, soit 100 % d’hydroélectricité, ou une combinaison d’hydroélectricité et d’énergie éolienne. Par ailleurs, chacune des soumissions des projets éoliens SBx ont été déposées avec un transporteur américain différent chacun disposant d’une ligne de transmission indépendante pour acheminer l’électricité au Massachusetts.
« Depuis plus de dix ans, Gaz Métro et Boralex travaillent à développer le potentiel éolien du territoire de la Seigneurie de Beaupré, propriété du Séminaire de Québec, a indiqué Patrick Lemaire, président et chef de la direction de Boralex, par voie de communiqué. Ce territoire est vaste, la qualité de son gisement éolien est reconnue, il est situé à proximité de lignes de transport existantes et à la portée du nord-est des États-Unis. Nous sommes confiants que SBx a toutes les qualités requises pour se distinguer de la compétition. »
(ndlr : à noter que Cascades, qui fut l’actionnaire majoritaire de Boralex à une certaine époque, a vendu récemment les 17,5 % des actions qui lui restaient dans Boralex à la Caisse de dépôt et placement du Québec, le bas de laine des Québécois. Du même souffle, cette transaction ouvre davantage la porte d’une importante source de financement pour les projets de Boralex, dont l’agrandissement du parc éolien de la Seigneurie de Beaupré. Pour lire l’article de TVA Nouvelles concernant la transaction Caisse/Boralex, cliquer ici.)
Autre joueur canadien entré en scène, l’entreprise du secteur privé Emera a répondu à l’appel de propositions du Massachusetts en déposant un vaste projet, baptisé Atlantic Link, pour le développement de sept parcs éoliens en collaboration avec des promoteurs indépendants. Le chantier comprend cinq parcs éoliens appelés à se construire au Nouveau-Brunswick ainsi que deux autres en Nouvelle-Écosse. Emera projette ainsi de fournir le Massachusetts en électricité en ayant recours à 70 % d’énergie éolienne et à 30 % d’hydroélectricité produite par Nalcor Energy et NB Power.
L’entreprise acheminera par ailleurs l’énergie produite par câble sous-marin de 500 MW, dont la construction entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador se termine cette année. Des terminaux seront mis en chantier à Plymouth en Nouvelle-Écosse ainsi qu’à Coleson Cove au Nouveau-Brunswick, d’où partirait cette électricité produite, en route vers un terminal projeté au Massachusetts. Le projet entrerait en service en 2022.
Autres soumissionnaires
La liste complète des soumissionnaires à l’appel d’offres du département des ressources d’énergies du Massachusetts a été dévoilée une semaine plus tard, le 2 aout. Si on savait déjà que Boralex, Gaz Métro, Hydro-Québec et Emera entraient en compétition, TechnoCentre éolien a fait l’exercice de recenser les autres joueurs en éolien qui s’alignent dans la course.
Ainsi, EDF EN Canada, filiale de EDF RE, propose 1 389 MW d’énergie éolienne; RES Canada a soumissionné pour produire 777 MW; et Enercon Canada participe à un projet de 462 MW. Plus en détail, RES Canada, EDF EN Canada et Enercon font partie des joueurs impliqués dans le projet Atlantic Link d’Emera tandis que les deux premiers font également partie de la soumission du projet GridAmerica. EDF EN Canada s’inscrit également dans le projet Maine Clean Power Connection « Brookfield ayant son siège social à Gatineau a aussi déposé un projet, mais ce n’est pas clair si ce projet sera construit au Québec », précise Frédéric Côté, directeur général du TechnoCentre éolien.
Si le Québec perce le marché de la Nouvelle-Angleterre, il s’agira d’une première historique pour les projets éoliens d’ici, selon Jean-François Nolet, porte-parole de l’Association canadienne de l’énergie éolienne (CanWEA), avec qui Électricité Plus s’est entretenu. « Mais rappelons qu’un seul projet va gagner, et que le Québec et le Canada compétitionnent avec les Américains », note-t-il.
Frédéric Côté pense pour sa part que le Massachusetts pourrait tout aussi bien choisir plusieurs soumissions pour compléter ses besoins en énergie verte.
Le Massachusetts choisira en début d’année 2018 le ou les soumissionnaires retenus.
Électricité abordable
Aux dires de Jean-François Nolet, le Massachusetts pourrait préférer un joueur canadien, dont le cout d’électricité reste abordable – argument que partage Frédéric Côté – et où il y a des emplacements pour développer un parc éolien, contrairement à la Nouvelle-Angleterre qui compose avec une population importante et une contrainte d’espace physique pour s’y construire. Selon M. Nolet, il s’agit d’un « moment historique majeur » pour les développeurs de parcs éoliens et pour l’industrie éolienne québécoise qui « démontre sa maturité ».
« Il y a quelques années, une entreprise de l’Île-du-Prince-Édouard avait eu quelques contrats avec le Massachusetts, mais rien de comparable à aujourd’hui », exprime-t-il au bout du fil.
Quant à Frédéric Côté, il retient surtout qu’il s’agit de la première fois que des développeurs éoliens auraient l’occasion d’exporter l’électricité produite ici de l’autre côté de la frontière. « Jusqu’ici la filière éolienne avait un marché exclusivement québécois, la loi interdisait aux entreprises d’exporter de l’énergie éolienne, ce qui protégeait le monopole d’Hydro-Québec. Le fait que nous puissions exporter l’éolien démontre toute la vigueur, toute l’expertise et toute la compétitivité de l’industrie éolienne, a-t-il exprimé à Électricité Plus. Cette nouveauté, de permettre la construction de parcs éoliens pour exportation d’électricité, s’inscrit d’ailleurs dans la Politique énergétique du gouvernement du Québec. »
Ainsi, une percée majeure en Nouvelle-Angleterre signifierait donc la fin du monopole d’Hydro-Québec en matière d’exportation d’électricité. « Les compagnies d’éolien devront certainement devoir s’entendre avec Hydro-Québec pour le droit de passage sur ses lignes et sur un appui clair de sa part », ajoute au passage M. Côté.
Cibles ambitieuses en Nouvelle-Angleterre
Pour la remise en contexte, précisons que l’état du Massachusetts s’est fixé des cibles ambitieuses de remplacer 30 % de sa consommation globale d’électricité par des sources d’énergies renouvelables (hydroélectricité, éolien et solaire) d’ici 2020. L’état américain cherche donc à s’alimenter d’une quantité importante d’énergie propre – soit 9,45 TWh – d’ici 2022. Un autre marché à surveiller, que l’on anticipe prendre de l’ampleur dans les prochaines années, soulève M. Nolet, est celui de l’état de New York, dont le gouvernement vise à s’approvisionner à 50 % en énergies vertes d’ici 2030.
Dans les circonstances où le président Donald Trump a retiré les États-Unis de l’accord de Paris et préconise le recours au charbon, on pourrait croire que cet appel d’offres entre en contradiction avec la position des Américains. Or, Jean-François Nolet souligne que l’approvisionnement en énergie relève de la compétence des états. « Leur retrait de l’Accord de Paris ne change rien aux objectifs des états de se tourner vers les énergies propres », stipule-t-il.
D’autant plus que les centrales au charbon arrivent à leur fin de vie utile, ajoute-t-il, et que les états sont « à la croisée des chemins ». « Ils regardent à long terme pour ce qui est de leur portefeuille énergétique, faisant face au choix de rénover les centrales et réinvestir dans le charbon ou d’acquérir des énergies de sources renouvelables », explique M. Nolet.
Alberta, Saskatchewan et… New York
Pendant ce temps, de ce côté-ci de la frontière, l’Alberta et la Saskatchewan aussi voient vert : l’un maintient le cap pour ouvrir à l’automne un appel d’offres en énergies propres, l’autre reçoit les propositions en éolien jusqu’en mai 2018.
Rappelons donc que l’Alberta Electricity System Operator vise l’achat de 400 MW d’électricité renouvelable afin d’atteindre sa cible de transition vers 30 % d’énergie propre d’ici 2030. « L’Alberta a pris la décision de fermer ses centrales au charbon et de s’approvisionner jusqu’à 5 000 MW d’électricité de source renouvelable – ce qui est colossal. Il fonctionnerait par appels d’offres annuels, à raison de 400 MW par année jusqu’en 2030 », résume M. Nolet.
En Alberta, le processus d’appel d’offres s’est enclenché, mais pour l’instant la province demeure encore à l’étape de préqualification des soumissionnaires intéressés. L’appel de soumissions devrait s’ouvrir un peu plus tard cet automne.
Province voisine de l’Alberta, la Saskatchewan a terminé son processus de qualification auquel 23 producteurs d’énergie éolienne ont participé. Parmi ceux-ci, huit entreprises, dont quelques-unes Québécoises – sur lesquelles plane encore le mystère – ont été retenues. L’appel de proposition de SaskPower a été ouvert au début juillet pour s’approvisionner de 200 MW d’énergie éolienne, afin d’alimenter en énergie 800 000 foyers.
Enfin, un autre appel de projets, cette fois dans l’état de New York, s’est ouvert aux développeurs québécois en juin, soulève Frédéric Côté, du TechnoCentre éolien. L’état américain cherche à s’approvisionner de 2,5 millions de MWh d’électricité par année à partir de sources d’énergie renouvelable, dans l’objectif d’électrifier 350 000 ménages. Plus grand projet d’approvisionnement en énergie propre par un état de l’histoire des États-Unis, celui-ci représente un investissement de 1,5 milliard $US.
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