
Si Hydro-Québec voit dans les mines de cryptomonnaies une avenue pour augmenter sa rentabilité, des municipalités et des MRC s’opposent à cette industrie, lui reprochant d’être très énergivore, de ne pas créer d’emploi et d’être bruyante. Au point d’en interdire la venue sur leur territoire.
Les cryptomonnaies telles le bitcoin ont gagné en popularité au cours des dernières années, ce qui a mené à la création de mines de cryptomonnaie, c’est-à-dire des banques de serveurs qui gèrent cette monnaie virtuelle. Ce sont ces banques qui consomment de grandes quantités d’électricité.
Le chercheur Anders Andrae, de l’entreprise Huawei Technologies, en Suède, estime que les centres de données dévoreront jusqu’à 651 térawattheures d’électricité dans le monde en 2020 pour faire fonctionner leur matériel informatique et climatiser les lieux afin de prévenir toute surchauffe d’équipement, rapporte Radio-Canada.
Cette demande en énergie risque de doubler au cours de la prochaine décennie si rien n’est fait. «Ce sera complètement insoutenable d’ici 2040 », a prévenu M. Andrae.
Devant ces chiffres, les MRC Brome-Missisquoi et de la Haute-Yamaska ont adopté, en 2018 et 2019, un moratoire à long terme sur les centres de cryptomonnaies afin que ce type d’entreprises ne puisse s’établir sur leur territoire. Les élus estiment que cette industrie ne cadre pas dans un plan de développement durable.
Le préfet de la MRC de la Haute-Yamaska, Paul Sarrazin, s’est montré très clair: «On n’en veut pas sur notre territoire. Ça consomme une grande quantité d’électricité sans créer beaucoup d’emplois. Sans compter le bruit produit par les équipements et les grandes superficies nécessaires. Il n’y a vraiment aucun avantage pour nous.»
Le directeur général de la Société de développement économique de Bromont, Charles Lambert, avait reçu, avant le moratoire de 2018, une demande pour un centre de données pour le bitcoin qui prendrait environ 30 MW. «C’est inconcevable. Il faut gérer notre capacité électrique en fonction de projets intéressants en termes de retombées pour la municipalité et pour la région.
La municipalité de Magog a aussi instauré un moratoire en 2018 sur les entreprises de minage de cryptomonnaies, préférant réserver la puissance énergétique dont elle dispose aux entreprises de son parc industriel.
Les deux entreprises liées à la cryptomonnaie déjà installées sur son territoire, Bitfarms et BitLinksys, mobilisent une vingtaine de mégawatts par jour. Avec cette demande, la ville utilise la quasi-totalité du bloc d’énergie fourni par Hydro-Québec, ce qui l’a forcé à demander à la société d’État de lui accorder une puissance additionnelle pour développer son parc industriel et diversifier son économie.
Magog n’exclut pas d’accueillir de nouveaux centres de traitement de données dans le futur, mais cela dépendra des recommandations que feront le gouvernement du Québec et Hydro-Québec.
À Sherbrooke, c’est le bruit généré par les ventilateurs utilisés par la compagnie Bitfarms pour refroidir ses salles de serveurs qui suscite la grogne des voisins, forçant la municipalité à demander des mesures d’atténuation comme la construction d’un mur coupe-son. La compagnie a aussi pris l’engagement de limiter sa consommation d’électricité en période de pointe.
Hydro-Québec intéressée
La société d’État s’intéresse aux mines de cryptomonnaies pour augmenter sa rentabilité. En 2019, la Régie de l’énergie a annoncé qu’un bloc de 300 mégawatts (MW) serait réservé au secteur des chaines de blocs et des cryptomonnaies, mais qu’il n’y aurait pas de nouveau tarif d’électricité pour les mines de cryptomonnaies déjà présentes au Québec et celles qui voudraient s’y établir.
La Régie a aussi rejeté la proposition d’Hydro-Québec de soumettre les nouveaux projets à un encan tarifaire. La société d’État souhaitait tenir un encan pour un bloc de 500 MW réservé aux mineurs de cryptomonnaies et une augmentation d’au moins 20 % du tarif en vigueur.
Malgré tout, Hydro-Québec s’est montrée satisfaite, soulignant que ce bloc de 300 MW représenterait des revenus d’au moins 120 millions de dollars. Avec les ententes déjà conclues avec certains clients et les réseaux municipaux, le volume total réservé à l’industrie atteindra 668 MW.
Pour obtenir des tarifs préférentiels, les entreprises de cryptomonnaies devront se qualifier en tenant compte du nombre d’emplois créés, de l’investissement réalisé au Québec et des efforts de récupération de chaleur. La Régie a également fixé un tarif dissuasif de 15 cents le kilowattheure pour toute consommation non autorisée dans le cadre de l’octroi du bloc d’énergie de 300 MW.
Cryptomonnaies et réseaux locaux
L’utilisation de ce bloc suscite la controverse. Hydro-Québec prétend que seuls les clients branchés à son réseau peuvent exercer des activités reliées aux chaines de blocs et aux cryptomonnaies et demande que les réseaux municipaux soient exclut du processus d’appel d’offres pour l’obtention d’énergie provenant du bloc de 300 mégawatts (MW).
Or, Baie-Comeau et la dizaine d’autres municipalités propriétaires de leur réseau électrique contestent cet argument. Baie-Comeau s’est d’ailleurs présenté devant la Régie de l’énergie à trois reprises en 2019 pour défendre l’autonomie de son réseau.
La municipalité veut obtenir 15 MW, qui s’ajouteraient aux 15 MW déjà consentis à l’entreprise GPU.one en 2018. Le maire Yves Montigny affirme que des promoteurs en ont besoin. D’ailleurs, GPU.one a déjà exprimé son besoin d’une nouvelle quantité d’énergie pour son expansion.
La décision que rendra la Régie de l’énergie pourrait être déterminante aussi pour la construction du poste Bégin 2, à Baie-Comeau. Un projet de 16,3 M$.
Les redistributeurs d’électricité au Québec souhaitent faire comme Hydro-Québec: utiliser les bénéfices provenant du réseau électrique pour se développer.
Maximiser les retombées
Hydro-Québec affirmait déjà en 2018 que les retombées économiques du secteur du minage de cryptomonnaies sont très faibles en regard de l’énorme quantité d’électricité consommée (en termes d’emplois par mégawatt).
En effet, l’étude réalisée par la firme KPMG pour Hydro révèle que le minage ne génère pas beaucoup d’emplois s’il n’est pas lié à des activités additionnelles et que plus l’installation de minage est grande, moins il y a d’emplois générés, comme le montre ce tableau produit par KPMG:
L’analyse de KPMG montre qu’on pourrait augmenter les retombées économiques si la fonction minage s’accompagnait d’activités comme la fabrication, l’assemblage ou la réparation d’équipements de minage; le développement de logiciels; la réalisation de recherche-développement ou l’implantation d’un centre de services de soutien informatique.
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